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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/34

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1597 TRINITÉ. SAINT JEAN 1598


gnait au Verbe dans sa philosophie : on a longuement débattu la question de savoir si l’évangéliste était tributaire de Philon. La réponse négative est hautement vraisemblable. Saint Jean est un Juif palestinien ; il ne connaît rien des spéculations alexandrines et il y a peu de chances pour qu’il ait jamais rien lu de Philon. D’ailleurs, entre le Verbe philonien et le Verbe de saint Jean, il y a un abîme : de celui-là, nous n’arrivons même pas à savoir s’il est une personne et les commentateurs en discutent encore. Celui-ci est le plus personnel des êtres et nous l’avons connu, nous avons vu sa gloire, puisqu’il s’est fait chair.

Pourquoi saint Jean a-t-il choisi le nom de Verbe, pour l’attribuer au Fils de Dieu ? Ici nous devons bien avouer notre ignorance. Il est pourtant remarquable que l’évangéliste ne se croit pas obligé de s’expliquer là-dessus, qu’il parle avec l’assurance d’être compris de ses lecteurs : on peut admettre qu’avant lui l’identification du Verbe et du Seigneur était chose faite et acceptée dans les Églises. En toute hypothèse, le Verbe est le Fils unique de Dieu : le terme monogenes est employé deux fois dans le prologue et appliqué au Verbe d’une manière exclusive. Les croyants peuvent sans doute devenir eux aussi enfants de Dieu et recevoir ce que saint Paul appelait l’esprit d’adoption filiale. Il n’y a pas de commune mesure entre la filiation adoptive des croyants et la filiation du Monogène. Celle-ci est sans pareille. « Le Verbe était auprès de Dieu ou dirigé vers Dieu » : il ne lui était pas identique, bien qu’éternel comme lui. Mais il était de nature divine ; il était Dieu, le mot Theos étant employé sans article pour marquer la distinction des personnes, bien plutôt que pour insinuer une subordination du Verbe envers celui qui seul mérite le nom de Dieu, o Theos. Ce qui importe à l’évangéliste, en dehors de l’évidente préoccupation d’éviter toute formule d’allure polythéiste, c’est de mettre en relief la divinité du Verbe. Cette divinité sera rendue plus évidente, s’il est possible, lorsque nous lirons vers la fin du prologue que le Verbe est un fils unique, et même, selon la lecture la plus vraisemblable, Dieu monogène. Si le Verbe est distinct de Dieu, comme un fils l’est de son père, il possède la même nature que lui et il la possède seul, tout au moins en tant que Fils. « Tout a été fait par le Verbe » : nous retrouvons ici, exprimée par d’autres mots, l’idée que nous avons déjà rencontrée dans saint Paul, d’une activité du Seigneur dans l’œuvre de la création. Si Dieu le Père est vraiment le créateur du ciel et de la terre, son Verbe a été comme l’instrument dont il s’est servi pour réaliser son dessein. Et l’évangéliste insiste en reprenant que « sans lui rien n’a été fait ».

Le verset suivant est difficile à interpréter. La ponctuation ordinairement admise coupe ainsi le texte : « Sans lui, rien n’a été fait de ce qui a été fait », et l’on n’échappe guère à l’impression d’une redondance inutile, bien que la suite : « En lui (c’est-à-dire dans le Verbe) était la vie », offre un sens satisfaisant. Les plus anciens témoins présentent une coupure différente : « Ce qui a été fait était vie en lui », pour signifier, semble-t-il, que rien ne subsistait et ne vivait en dehors de lui. On reste un peu hésitant en face de cette double interprétation ; mais pour nous, le problème n’a qu’une importance secondaire. Il est assuré que saint Jean fait du Verbe l’auteur et le consommateur de toute vie et de toute lumière ; plus encore, il enseigne que le Verbe lui-même est la Vie et la Lumière. Ces deux mots doivent d’ailleurs être entendus au sens spirituel : la lumière est celle de la vérité, la vie celle de la grâce.

A la lumière s’opposent les ténèbres du monde qui sont à la fois incapables de la comprendre et de s’emdarer d’elle pour l’éteindre. Aussi continue-t-elle à briller parmi les hommes. Elle a d’abord été révélée par les prophètes ; elle a surtout été manifestée par Jean-Baptiste, qui est son grand, son principal témoin. Et c’est ainsi que, brusquement, l’évangéliste nous introduit en pleine histoire, sans cesser pourtant d’employer le langage abstrait qui caractérise son prologue. Désormais, il peut se hâter vers le dénouement qui tient tout entier dans cette petite phrase : « Et le Verbe s’est fait chair. » Le Verbe, c’est-à-dire l’instrument de la création, le Fils monogène de Dieu, le Dieu monogène, a pris notre humanité et il a habité parmi nous. Le mouvement de la pensée est le même que dans l’épître aux Philippiens : il descend du ciel sur la terre ; il va de l’éternité au temps ; mais saint Jean peut ajouter : « nous avons contemplé sa gloire », parce qu’il a été lui-même le témoin de Jésus et qu’il l’a vu élevé sur la croix d’où il devait attirer à lui tous les hommes.

Le Saint-Esprit n’est pas mentionné dans ce prologue où seuls Dieu et le Verbe jouent un rôle. Du moins, ce rôle est-il clairement exposé. Dieu unique, invisible : le Verbe, éternel, organe de la création, révélateur du Père, Dieu enfin. On s’est étonné qu’après avoir mis dans un tel relief la personne du Verbe, saint Jean ne l’ait plus jamais mentionnée au cours de l’Évangile. Mais tel n’était pas son but. Il avait à raconter une histoire, celle de Jésus-Christ. Il lui suffisait d’avoir montré qui était Jésus-Christ : le Verbe fait chair. Cette équation, une fois établie, pourquoi aurait-il employé encore un terme abstrait pour désigner le Maître qu’il avait tant aimé ? Au reste, si le nom de Verbe n’apparaît plus dans l’Évangile, la lumière et la vie ne cessent pas d’y tenir une très grande place. Jésus affirme qu’il est vie et lumière ; il ressuscite Lazare et guérit l’aveugle-né pour le démontrer. Ainsi le prologue se poursuit-il dans le récit ; le récit se relie-t-il étroitement au prologue.

2° Le Fils unique. —

A peine est-il besoin d’insister sur le témoignage que le quatrième évangile rend au Fils unique de Dieu. À tout instant, Jésus y affirme, dans les termes les plus clairs sa divinité. Il existe de toute éternité : « Abraham, votre père, a désiré ardemment voir mon jour ; il l’a vu et il a été rempli de joie… en vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis. » Joa., viii, 56-58. Personne ne. connaît son origine : « Mon témoignage est vrai, parce que je sais d’où je suis venu et où je vais ; mais vous ne savez ni d’où je viens, ni où je vais. » Joa., viii, 14. Il enseigne ce qu’il sait, ce qu’il a appris auprès du Père : « En vérité, en vérité, je te le dis, nous parlons de ce que nous savons ; nous attestons ce que nous avons vii, et vous ne recevez pas notre témoignage. Si je vous ai dit les choses de la terre et que vous ne croyiez pas, comment, si je vous dis les choses du ciel, croirez-vous ? Et nul n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. » Joa., iii, 11-13. « Vous êtes d’en bas et je suis d’en haut… je dis ce que j’ai vu chez mon Père ; et vous, vous faites ce que vous avez appris de votre père. » Joa., viii, 23, 38.

Du reste, les Juifs ne se trompent pas sur la valeur de ce témoignage : ils prennent un jour des pierres pour le lapider et déclarent : « Ce n’est pas à cause de tes bonnes œuvres que nous te lapidons, mais à cause de ton blasphème et parce que, étant un homme, tu te fais Dieu. » Joa., x, 33. Il est vrai qu’ils n’ont pas compris tout de suit « ’le sans profond dis paroles de Jésus. Dans l’évangile de saint Jean, tout autant que dans les Synoptiques, on trouve des traces d’un enseignement progressif, qui ne révèle que peu à peu les vérités les plus profondes. Mais, avant la fin de son ministère. Jésus s’est assez déclaré pour qu’aucune erreur ne soit plus permise et voilà pourquoi l’incrédulité des Juifs est un péché : « Si je n’étais pas venu et si je n’avais