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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/548

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VENTE. LE JUSTE PRIX


II. Le juste prix.

Évaluation du juste prix.

Le juste prix peut être défini : « l’expression exacte en monnaie de la valeur d’échange d’un objet. » Deux questions délicates se posent à ce sujet :
1. Sur quels éléments peut-on se fonder pour établir la valeur d’échange d’un objet ?
2. Qui en fixera l’expression exacte en monnaie ?

1. La valeur d’échange d’un objet.

De nombreux éléments peuvent ou doivent entrer dans l’estimation d’un objet, d’une denrée, d’un produit : Son utilité : plus une chose présente d’utilité pour celui qui l’achète et plus elle a de valeur pour lui. Sa rareté ou son abondance : plus une chose est rare et plus elle est estimée ; plus elle est abondante et commune, et plus sa valeur diminue. Ainsi l’eau, malgré son utilité, ne constitue pas, en temps normal, en raison de son abondance, une valeur marchande. Le désir de l’acheteur donne à ses yeux plus de prix à l’objet convoité. Le travail de l’ouvrier qui a concouru à la production de la marchandise est, aux yeux de Karl Marx, le seul élément d’estimation à retenir. Bastiat y ajoute l’effort accompli pour rendre l’objet négociable. D’autres calculent la valeur d’une chose d’après le coût nécessité par sa production. Enfin l’école libérale n’invoque ici que la loi de l’offre et de la demande, avec la convention qui en résulte. « Tous ces systèmes, écrit P. Six, ont le tort d’oublier que la valeur d’échange suppose une société d’hommes, qu’elle a donc un cachet éminemment social, dès lors que d’innombrables éléments s’y assemblent, s’y heurtent, s’y ajustent et finissent, tous ensemble, par la constituer autour d’un but unique qui est le bien commun temporel. Par conséquent, travail de l’homme, abondance ou rareté, offre et demande, contrat libre, désirs plus ou moins grands des hommes soit d’acquérir soit de céder : tout cela entre dans la valeur d’échange, à des doses qui peuvent varier évidemment. Le difficile est de donner à chacun de ces éléments leur rang d’importance. » Art. Valeur, dans le Dict. pratique des connaissances religieuses, t. vi, col. 791. Parmi tous ces éléments, la loi de l’offre et de la demande et le travail tiennent, à coup sûr, la première place. Au premier abord, la loi de l’offre et de la demande semble être le régulateur normal de la valeur de la marchandise et du travail lui-même. S’il y a trop de produits, s’il y a moins de besoins, les prix s’abaisseront automatiquement. Si la demande s’accroît, la production demeurant stationnaire, les prix s’élèveront. D’autres éléments peuvent sans doute intervenir, mais l’otïre et la demande s’affirment souvent, sinon toujours, comme le grand régulateur des prix. D’ailleurs cette loi présente de grands avantages : elle incite les vendeurs à satisfaire, aux meilleurs prix et de la meilleure façon, les besoins des acheteurs ; entre les acheteurs elle fait régner une inégalité raisonnable ; en relevant le prix des marchandises les plus désirées, elle prévient le gaspillage et oriente l’activité des producteurs vers des emplois rémunérateurs. Enfin, si elle ne justifie pas les prix, elle est d’ordinaire le moyen le plus efficace pour les faire apparaître. — Si bienfaisant que puisse sembler, au point de vue économique, le jeu normal de l’offre et de la demande, cependant on ne saurait, au point de vue social, s’en contenter. Dans les temps de crise, cette loi risquerait de plonger dans une misère imméritée des foules de travailleurs, obligés de louer à vil prix leur labeur, soit à cause d’une pléthore de main d’œuvre, soit a cause d’une trop grande abondance des matières premières en tace <ie demandes raréfiées. » Loi d’airain a-t-Otl dit d’elle, précisément parce qu’elle ne tient pas compte de l’élément moral et social qui doit intervenir dans l’estimation du produit du travail. Le travail, en effet, est un devoir pour tout homme et, pour tout homme, le travail doit être le moyen de se procurer les choses nécessaires à sa subsistance et à celle de sa famille : « Conserver l’existence est un devoir imposé à tout homme… De ce devoir découle nécessairement le droit de se procurer les choses nécessaires à la subsistance que le pauvre ne se procure que moyennant le salaire de son travail. Que le patron et l’ouvrier fassent donc tant et de telles conventions qu’il leur plaira… au-dessus de leur libre volonté, il est une loi de justice naturelle plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas être insuffisant à faire subsister l’ouvrier sobre et honnête. » Léon XIII, encycl. Rerum novarum ; « Salaire vital », disait Léon XIII ; « Salaire familial », précisera Pie XI. Voir Salaire, t. xiv, col. 1006, 1010. Ce que Pie XII, à l’occasion du cinquantenaire de Rerum novarum (1 er juin 1941) précise en ces termes : « Au devoir personnel du travail imposé par la nature correspond et s’en suit le droit naturel de chaque individu à faire du travail le moyen de pourvoir- à sa vie propre et à celle de ses fils. » Mais « il faut que celui qui a la force de travailler… trouve à travailler équitablement. » Encycl. Sertum lœtitia. La valeur, produit du travail, devra donc, par de la le jeu de l’offre et de la demande, être estimée humainement et socialement.

2. Estimation vénale du juste prix. —

Cette estimation est faite en une monnaie déterminée et ayant un cours stable. La somme exprimant le juste prix n’est donc pas nécessairement immuable. Si la monnaie est dépréciée, la même valeur commerciale devra s’exprimer par une somme plus élevée. Les prix paraissent monter ; en réalité, c’est la valeur de la monnaie qui diminue. Mais supposons la valeur de la monnaie constante.

Sous la réserve de la valeur constante de la monnaie, le juste prix est celui qui traduit, aussi bien pour l’acheteur que pour le vendeur, la valeur commerciale de la marchandise. Il comprend l’équitable rémunération du travail, les frais de production, le bénéfice raisonnable à attribuer au producteur et aux intermédiaires. Si ces intermédiaires ne collaborent pas à la production, ils concourent efficacement à la répartition des produits et, partant, ont droit à une honnête rétribution.

Mais qui fera l’estimation vénale de ce juste prix ?

a) Le juste prix légal. — Le socialisme déclare que c’est l’État. D’une façon normale, l’État a le droit, en effet, de fixer le juste prix dans les domaines lui appartenant en propre. Si l’État a la régie des chemins fer, de certaines mines, de certaines écoles, il intervient de plein droit dans la fixation du prix des billets ou du transport de marchandises, dans la taxation des produits manufacturés dans ses usines, dans l’indication des frais de scolarité. Mais, dans les transactions d’ordre privé — et il est souhaitable que l’État respecte et favorise le plus possible, en matière économique, les initiatives privées — il ne lui appartient plus, normalement, de fixer des prix. Lue intervention habituelle de ce genre, en période normale, aboutirait à anéantir les effets bienfaisants de la concurrence. Admettons toutefois qu’en temps de crise, exceptionnellement, l’Étal doive intervenir pour fixer et limiter les prix. Le prix légal, ainsi déterminé, oblige en conscience, à moins qu’il ne soit manifestement injuste ou soit tombé en désuétude. Il n’est pas permis de le dépasser.

C’est en marge du prix légal que sévit, en temps de crise économique, le marché noir. I.e marché ordinaire est appauvri : en VOTtU de la loi de [’offre et de la demande, le prix des rares marchandises traitées RlOnU en flèche à des hauteurs que seuls les riches