III. Système.
i° Observations préliminaires. — Basilide n’a pas échappé à la préoccupation de ses contemporains devant la grave question de l’origine du mal. Épiphane, Hær., xxiv, 6, P. G., t. xii, col. 313. Les gnostiques cherchaient à la résoudre, mais sans vouloir accepter l’enseignement de la Bible et de l’Église et sans en arriver encore, d’une manière aussi nette et aussi formelle que les futurs manichéens, à proclamer l’existence et l’opposition de deux principes coéternels, le principe du bien et le principe du mal. Ils se refusaient sans doute à faire de Dieu l’auteur du mal, puisqu’ils le proclamaient essentiellement bon ; d’autre part, la présence du mal dans ce monde ne s’expliquait pas, à leurs yeux, par la déchéance personnelle et exclusive de l’homme. C’est donc entre Dieu et l’homme, dans quelque être intermédiaire, moins parfait que Dieu, mais supérieur à l’homme, qu’ils plaçaient l’auteur responsable du mal, rappelant ainsi le dogme de la chute des anges. C’est pourquoi ils eurent soin de sérier les êtres intermédiaires en nombre suffisant pour sauvegarder la vraisemblance et amener peu à peu l’esprit à concevoir la possibilité et à admettre la réalité d’une chute. Leurs éons participaient de moins en moins à la nature divine, au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient du premier principe ; dés lors, ils étaient d’autant plus loin de posséder en partage la souveraine bonté de Dieu ; la diminution en eux de l’être divin les rendait accessibles à quelque faiblesse, et l’idée d’une déchéance de leur part n’était plus une hypothèse invraisemblable. En fait, il y eut faute et chute parmi ces êtres intermédiaires, non point, comme nous le verrons plus loin, à la suite d’une désobéissance ou d’une révolte, mais par fefl’et de leur ignorance et de leur orgueil. Le problème de l’origine du mal se trouvait ainsi résolu sans doute, mais cette solution malheureuse n’allait à rien moins, en définitive, qu’à faire de Dieu lui-même l’auteur du mal, bien que ses auteurs s’en défendissent. Car leur système d’émanation, faisant procéder les éons les uns des autres depuis le premier principe, qui est Dieu, les affirmait toujours participants à la nature divine et, par là, plaçait l’origine du mal dans la nature de Dieu.
Basilide n’évita pas cette fâcheuse conséquence. Il eut beau se défendre d’enseigner l’émanation proprement dite et parler souvent de création. Le contexte prouve qu’il n’entend pas le mot de création au sens catholique ; et ses expressions, en particuliersa xaxaëoXri, n’expriment pas d’autre idée, malgré la différence des termes, que celle de l’émanation. Il eut beau encore multiplier entre Dieu et l’homme d’une manière fantastique les éons et les mondes qu’ils habitent, il ne réussit pas à soustraire la nature divine à la responsabilité du mal.
2° Le monde supérieur.
En tête du monde, Basilide
place un premier principe : c’est le Pater innatus d’Irénée, Cont. hær., I, xxiv, 3, P. G., t. vii, col. 675 ; le Iv tô àyévv/)Tov d’Épiphane, Hxr., xxiv, 1, P. G., t. xli, col. 309 ; le o-jxôjv Qs.b< ; des Philosophumena, VII, i, 21, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 346. Ce Père non né, ce Un non engendré, ce Dieu-néant existe, peut devenir quelque chose ; il a l’être en puissance. Il n’est ni matière, ni accident, ni simple, ni composé, ni compréhensible, ni incompréhensible, ni accessible ou inaccessible aux sens, ni homme, ni ange, ni Dieu, ni rien de ce qui peut être perçu par les sens, conçu par l’esprit ou nommé par la parole. Philos., VII, i, 21, p. 345. Et pourtant ce Dieu a voulu créer ; Basilide n’explique pas, et pour cause, comment ce qui n’existe pas peut vouloir. Ce Dieu possède tous les germes ; il est le réservoir des mondes, cnzip^a. tzo-Ji.oç><so-j xa 7ro), uoj<r.ov, ibid., p. 347 ; il renferme la panspermie, £/ec ev eâuTtô rcâtrav tt, v 71avc7tEp|j. ! av… 7tâvTa Ta (jjtspij.aTa iv eâuTÛ) TsO^iraupio-ixéva xai xaTay.Ei’fxeva. Philos., VII, I, 22, p. 349. Ces germes ne sont pas condamnés à la
stérilité absolue ; ils passeront en acte grâce à un principe d’activité consubstantiel à Dieu, que Basilide désigne par ce nom de u2ôtï)î, filiation. Or cette u’ioti-, ; n’est pas unique. Il en est une d’abord, très ténue, XôTiTO[x.£pl ;, qui, dès la première émission du germe par le Dieu-néant, s’enfuit avec la rapidité de la flèche ou de la pensée et décrit une courbe rentrante ; car, partie du fond de l’abîme, elle vole vers les régions supérieures et vient finalement se reposer près du Dieunéant. Il en est une autre, celle-ci grossière et confinée dans les germes, Tra-/u|xïpÉ ;, moins agile par conséquent. Elle peut se dresser ; mais ce n’est qu’à l’aide d’une aile, comme l’oiseau, qu’elle peut s’élever et se rapprocher de la première -jtdroç et de Dieu. Or, cette aile, c’est l’Esprit-Saint, le TrveOjjia àycov, qui la lui prête, mais comme celui-ci n’est consubstantiel ni avec le Dieu-néant ni avec l’uldro ;, il ne peut suivre celle-ci et pénétrer à sa suite dans le séjour ineffable et sublime de la divinité ; il en conserve du moins, à raison de son union passagère, le parfum et la vertu, comme un vase garde l’odeur du parfum qu’il a contenu. Philos., VII, i, 22, p. 349-351. Beste une troisième uSôtyii ;, inférieure aux deux autres : celle-ci demeure dans la panspermie jusqu’au dénouement final qui suivra l’apparition de tous les mondes ; car elle a besoin de purification ; 61pr7£d> ; Scô(ievov.
Telle est la manière imaginée par Basilide pour mettre en branle le trésor des germes et expliquer le passage de la puissance à l’acte. Dieu émet un germe ; ceci n’est pas une création, malgré l’emploi du terme, mais une émanation. L’utorr, ; ténue est la première réalisation de la puissance, le premier personnage en acte qui peuple avec Dieu le monde supérieur, hypercosmique. La seconde uiorv-, ;, et parce qu’elle est plus grossière et qu’elle ne peut agir seule, marque déjà un degré d’infériorité dans l’échelle de l’être divin, mais habite avec Dieu. Nous ignorons l’origine du uv-Cpa à’yiov ; nous connaissons du moins son rôle, celui d’aider la seconde uîôr/]ç, et son séjour, le monde intermédiaire, au-dessous du monde supérieur, à la limite des deux, car il est appelé l’Esprit-limite, ixt6ôptov jrvEiJiJ.a.
3° Le monde intermédiaire.
Ce monde intermédiaire
occupe l’espace éthéré qui va du séjour de Dieu jusqu’à la lune. Basilide le remplit d’autant de cieux qu’il y a de jours dans l’année, en progression toujours descendante. Chacun de ces cieux a son nom propre ; nous ne connaissons que le nom du premier, l’Ogdoade, celui du dernier, l’Hebdomade, et le nom d’un troisième, Caulacau, dont nous ignorons le rang exact dans la série. Chacun est peuplé d’un nombre considérable d’éons, procédant les uns des autres. Nous savons, d’après les sources, ce qui concerne l’Ogdoade et l’IIebdomade, et nous constatons que tout s’y passe de la même manière. Cette ressemblance n’est pas fortuite ; elle autorise à croire que le même principe de similitude doit s’appliquer à tous les autres cieux, d’une extrémité à l’autre du monde intermédiaire.
Or voici la formation de l’Ogdoade, le premier des 365 cieux. Du germe ou panspermie en fermentation sort un être d’une beauté, d’une grandeur, d’une puissance ineffables, le grand Archon, nommé aussi Abrasax ou Abraxas, parce que ses lettres additionnées forment le nombre de 365. Irénée. Cont. hxr., I, xxiv, 7, P. G., t. vii, col. 679-680 ; lhilos., VII, i, 26, p. 361 ; Épiphane, Hær., xxiv, 7, P. G., t. xli, col. 316. Cet Archon-Abrasax joue dans le monde du milieu un rôle semblable à celui du Dieu-néant dans le monde hypercosmique. Il se donne d’abord un fils plus puissant et meilleur que lui, qu’il fait asseoir à sa droite, dans l’Ogdoade. Philos., VII, i, 23, p. 351. Aidé de ce fils, il devient le démiurge de la création éthérée. En effet, de l’Archon et de son fils procèdent de nouveaux éons ; de ceux-ci, d autres encore, et ainsi de suite jusqu’à ce que