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CLÉMENT XIV

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Rome, le mirent en lumière ; en 1731, il prit son doctoral, et professa ensuite dans divers couvents italiens de son ordre. En 1741, il en devint définiteur général ; en 1746. Benoit XIV le nomma consulteur du Saint-Office ; deux fois, en 1753 et 1759, il refusa le généralat des cordeliers. Le 24 septembre 1759, Clément XIII le fit cardinal, sur la recommandation, dit-on, du P. Ricci, général des jésuites ; Ganganelli s’était toujours montré jusque-là un sincère ami de la Compagnie et le pape déclarait honorer en lui « un jésuite sinon d’habit, au inoins d’esprit » . Cordara, Mémoires, p. 22. Dans les dernières années du règne de Clément XIII, il fut lenu à l’écart, à cause de son opposition à la politique très ferme que le pape avait adoptée à l’égard des cours catholiques. Masson, Bernis, p. 140 sq. ; Theiner, Histoire, t. I, p. 270 sq.

Le conclave qui s’ouvrit le 15 février 1769 fut un des plus agités et des plus tristes dont l’histoire de l’Église fasse mention. La liste des cardinaux dont les cours bourboniennes souhaitaient ou permettaient l’élection ne comprenait que douze noms, parmi lesquels trois ou quatre seulement pouvaient être sérieusement considérés comme papables. De plus, les cours avaient nettement déclaré qu’elles ne reconnaîtraient qu’un pape décidé à la suppression de la Compagnie de Jésus. Ravignan, Clément XIII, t. I, p. 257 sq., 552 sq. ; Theiner, Histoire, t. i, p. 198 sq. Le secret du conclave était outrageusement violé par les cardinaux du parti des couronnes, et les trois ambassadeurs pouvaient à leur aise suivre et diriger toutes les négociations. Il est à noter cependant, à l’éloge du cardinal de Bernis, qu’il se refusa absolument à exiger, comme l’aurait voulu l’ambassadeur d’Aubeterre, « du sujet qui devroit être élu une promesse par écrit que dans un temps limité il séculariseroit en entier et par toute la terre la Société des jésuites. » Bernis écrivait noblement le 12 avril : « Ce seroit exposer visiblement l’honneur des couronnes par la violation de toutes les règles canoniques ; si un cardinal étoit capable de faire un tel marché, on devroit le croire encore plus capable d’y manquer ; un prêtre, un évêque instruits ne peuvent accepter ni proposer de pareilles conditions. » Masson, Bernis, p. 99 sq. Choiseul eut le bon goût de lui donner raison. Les cardinaux espagnols, Solis et La Cerda, furent moins scrupuleux, et firent tous leurs efforts pour arracher à leurs candidats une promesse formelle. Le problème était de trouver un sujet qui donnerait satisfaction aux cours sans effrayer les zelanti, partisans de la politique de Clément XIII, qui formaient la grande majorité du conclave. Après quatre mois d’inutiles intrigues, le nom de Laurent Ganganelli parut aux cardinaux espagnols le plus acceptable ; les zelanti le considéraient comme indifférent ou même favorable aux jésuites. Dès 1765, d’Aubeterre disait de lui : « Il est théologien, et ses principes de modération et de sagesse conviennent fort. » Sur la liste des cardinaux « papables » Choiseul avait écrit à côté de son nom : « Très bon. » Avant de pousser à fond sa candidature, les cardinaux espagnols s’efforcèrent de lui arracher la signature d’une promesse de détruire les jésuites. Si nous en croyons Bernis, ils durent se contenter « d’un écrit nullement obligatoire…, d’un écrit par lequel le cardinal Ganganelli, en qualité de théologien, disoit qu’il pensoit que le souverain pontife pouvoit en conscience éteindre la Société des jésuites, en observant les i les canoniques, et celles de la prudence et de la justice » . Lettres à Choiseul, 28 juillet et 20 novembre 1769 ; Masson, Bernis, p. 107.

Voyant la négociation des cardinaux espagnols en bon train, Bernis, qui n’avait pas voulu y prendre part, mais prétendait bien s’attribuer le succès, envoya le 17 m. h au soir son conclaviste l’abbé Deshaises sonder le cardinal Ganganelli au sujet du désir des cours. Le

cardinal aurait répondu an messager français « que la destruction des jésuites étoit nécessaire, et qu’il y travailleroit avec les formes indispensables…, qu’il demanderoit le consentement des puissances catholiques et de leur clergé » . Lettre de Bernis à Choiseul, 19 mai 1769 ; Masson, Bernis, p. 109. Assuré des dispositions du cardinal, et ne pensant pas pouvoir obtenir davantage, Bernis fit activement campagne en sa faveur ; dans la nuit du 17 au 18 mai l’accord se réalisa sur le nom de Ganganelli ; et le 18 mai 1769, au scrutin du matin, il fut élu par 46 suffrages sur 47 bulletins ; lui-même avait donné sa voix au cardinal Rezzonico, neveu de Clément XIII. Il déclara prendre le nom de Clément XIV, en souvenir du pape auquel il avait dû la pourpre. Masson, Bernis, p. 109-112 ; Sidney Smith, The suppression, dans The monlh, décembre 1902, janvier 1903.

D’après Crétineau-.Toly, qui dit avoir eu entre les mains le texte du billet obtenu par Solis de Ganganelli, le futur pape y aurait déclaré « qu’il reconnaissait au souverain pontife le droit de pouvoir éteindre en conscience la Compagnie de Jésus, en observant les règles canoniques, et qu’il était à souhaiter que le futur pape fasse tous ses efforts pour accomplir le vœu des couronnes » . Clément XIV, p. 6, 260. Le texte original du billet étant actuellement introuvable, on peut n’en pas tenir compte. Mais le fait de la déclaration signée par Ganganelli avant son élection semble établi par ailleurs ; et si cette déclaration n’était pas, comme le dit Crétineau-Joly, h un marché, un pacte simoniaque, » elle donne du moins une triste idée de sa délicatesse et de son désintéressement ; ce fut « une démarche compromettante qui a pesé sur toute sa conduite » . Masson, Bernis, p. 297. M. Rousseau, p. 157 sq., est moins affirmatif.

II. Premiers rapports avec les cours bourboniennes.

— Le pape fut consacré évêque le 28 mai et couronné le 4 juin. Son encyclique de prise de possession établissait clairement quelle serait l’idée dominante de son règne : garder la paix avec les cours catholiques pour obtenir leur appui contre l’irréligion toujours grandissante. Theiner, Epistolæ, p. 39.

Clément XIV se hâta de régler les affaires qui avaient mis en lutte son prédécesseur avec les cours bourboniennes. Sans retirer le monitoire de Clément XIII contre le duc de Parme, il n’en urgea pas l’exécution, et accorda gracieusement à l’infant les dispenses dont il avait besoin pour son mariage avec sa cousine l’archiduchesse Marie-Amélie, fille de Marie-Thérèse quillet 1769). Cf. Theiner, Epistolæ, p. 15. Charles III d’Espagne, heureux de l’élection du nouveau pape, retira la pragmatique contraire aux droits de l’Église qu’il avait lancée l’année précédente en réponse au monitoire contre Parme, rétablit le tribunal de la nonciature, et fit condamner par l’Inquisition quelques ouvrages récemment publiés contre la cour de Rome. C’est surtout avec le Portugal, depuis dix ans séparé de l’Église, que Clément désirait un rapprochement. Dans sa première promotion de cardinaux il avait compris le frère du premier ministre, Paul de Carvalho ; d’activés négociations, engagées dès son avènement, aboutirent le 25 août 1770 à une ordonnance de Joseph I" q U j révoquait solennellement l’édit de 1760, rendait libres les communications avec Rome, et rétablissait le tribunal de la nonciature. La joie de ce succès entraîna le pape à des félicitations exagérées et déplacées qu’il adressa au roi et à Pombal lui-même. Theiner. Epistolæ, p. 108, 111 ; Bullarium, p. 222, 256. Pour complaire aux princes, Clément omit, dès le premier carême de son pontificat, la publication de la bulle In cœna Domini, que les couronnes repoussaient comme injurieuse à leurs droits. Theiner, Histoire, t. i, p. 286, 337, 500,

III. SllTKLSSION DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS.

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