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EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ECRITURE

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la révélation, le controversisle qui démontre la présence réelle ù des protestants conservateurs peuvent user de ces considérations dont la force n’est nullement négligeable. Wiseman, op. cit., dans les Démonstrations évangcliqucs de Migne, t. xv, p. 1260 scj., les a fait valoir de la manière la plus saisissante.

Celui qui parle est Jésus arrivé à la veille de sa mort, à une des heures les plus solennelles de sa vie. Les dernières reconunaiulations d’un homme qui n’a pas perdu connaissance doivent être très intelligibles : car il se rend compte que bientôt il ne sera plus là pour les expliquer. Et Jésus n’est pas pour les Douze un étranger, ses disciples ont été traités par lui avec une extrême bonté. Le suprême adieu qu’il leur a adressé ne devait pas être une indéchifïrable énigme sur le sens de laquelle vingt siècles plus tard on discuterait encore. Comme le dit Julicher, ce qui vient d’une âme remplie d’émotion, de compassion et d’amour doit être clair et simple ; les énigmes sortent de la tête et non du cœur. Plus une explication des paroles de la cène est ingénieuse, subtile, compliquée, plus elle est suspecte de n’être pas la bonne. La plus haute sublimité et la plus grande simplicité ne s’excluant pas, les expressions si solennelles de Jésus à son dernier repas ont dû être immédiatement intelligibles pour les assistants. Et s’il en est ainsi, l’exégèse catholique, littérale est celle qui oflre les meilleures garanties, car elle aboutit au sens le plus sublime et le plus simple ; impossible de moins torturer les mots.

La solennité extraordinaire dont le Christ s’entoure insinue aussi que quelque chose de grand et d’inoui va avoir lieu. Pierre et Jean, les apôtres privilégiés, préparent le repas ; Jésus attend impatiemment cette Pâque. A la rigueur, ces détails peuvent être expliqués par les commentateurs qui n’acceptent pas le sens littéral, mais, à coup sûr, tout se justifie davantage si Jésus va se donner lui-même comme agneau pascal.

Il scelle de son sang une alliance, un testament. Ces actes ne peuvent être rédigés qu’en termes non équivoques. Le testateur, surtout s’il laisse quelque chose dont oa ignorait l’existence, indique sans figure ni ambiguïté ce qu’il lègue. S’il demande qu’en mémoire de lui on accomplisse un acte, il détermine avec soin son intention. L’ancienne alliance avait été conclue en des termes très clairs, Exod., xxiv : les conditions, les engagements, les avantages étaient bien stipulés. Et le legs qu’offre Jésus n’est pas facultatif : les disciples sont tenus de le recevoir ; l’union qu’il offre de sceller ne doit pas être repoussée. « Prenez, mangez, faites ceci en mémoire de moi, » telles sont les paroles du Christ. Elles commandent. Dieu ne donne pas des ordres dont on ignore le sens, son code n’est pas un recueil de métaphores. De même, lorsqu’il impose un dogme, il manifeste d’une manière suffisante quel assentiment il demande. Si les disciples sont tenus de croire à ce qu’affirme Jésus, il faut qu’ils sachent ce qu’il leur dit. Et si c’est un symbole que leur présente le Christ, il doit le leur faire savoir. Lorsque les Évangiles montrent le Sauveur instituant le baptême, donnant le pouvoir de remettre les péchés, conférant une autorité à ses disciples, ils emploient des expressions sur le sens général desquelles on ne se méprend pas.

Le quatrième Évangile atteste d’une manière spéciale que Jésus à la cène ne veut pas user d’images incompréhensibles. Interrompu maintes fois par ses disciples, il s’explique devant eux avec une extrême douceur. Il déclare qu’il ne veut plus user de paraboles, qu’il n’a plus de secrets pour eux, qu’ils sont ses plus intimes confidents. Les Douze eux-mêmes le remarquent : « Voilà que vous parlez ouvertement et sans vous servir d’aucune figure, » xvi, 29. Sans doute,

dans ce discours d’adieu, plusieurs allégories sont proposées, xiv, 2, 4, 6, 7 ; xv, 1 sq. ; mais elles sont données comme telles ou expliquées.

Les paroles de la cène, au contraire, ne sont précédées, accompagnées, suivies d’aucun éclaircissement. Dans un entretien inoubliable, le Christ avait promis de donner sa chair en nourriture, son sang en breuvage. S’il voulait instituer une simple figure, un mémorial de sa charité, de sa passion, de sa personne, de son Église, il devait bien se garder de dire aux Douze en leur montrant du pain : « Ceci est mon corps. » Car évidemment il leur laissait croire que son ancienne promesse se réalisait alors à la lettre d’autant plus qu’au même moment, il leur prodiguait les marques d’amour les plus étonnantes : consolation, promesse du Paraclet, don de paix, soin de leur corps, assurance de l’infaillibilité de leurs prières, garantie d’un prochain retour et pour chacun d’eux d’une place au ciel. Prendre un morceau de pain et dire : « Ceci est l’image de ma personne, mangez-le, » ce serait couronner d’une manière bien insignifiante une œuvre magnifique.

Encore, pour être ainsi compris, Jésus aurait-il dû parler autrement. Les apôtres ne sont pas des théologiens symbolistes du xxe siècle, pas même des philosophes. Ils appartiennent au menu peuple. Ils n’ont pas une notion précise de ce qui, pour être contradictoire, est impossible à Dieu. Le vulgaire et par conséquent les Douze considèrent le tout-puissant comme un être qui ne se heurte à aucun obstacle et dont l’action ne rencontre aucune résist ; uice. Pour l’oriental, le despote est celui dont la volonté n’est pas contrariée. Pour le Juif, surtout à l’époque du Christ, Dieu, c’est l’Être dont la puissance ne connaît pas de bornes, le maître de la vie et de la mort, celui qui dit et tout a été- fait, le seul qui opère des merveilles, qui accomplit tout ce qui lui plaît, dont la parole ne remonte jamais vide, car toujours elle exécute son mandat et remplit sa mission. Or, les apôtres avaient vu Jésus guérir des malades, chasser les démons, rendre les sens aux infirmes, ressusciter les morts, commander à la tempête, multiplier les pains. Ils avaient entendu le Christ leur dire que tout est possible à Dieu, Matth., xix, 26 ; les reprendre quand leur confiance semblait chanceler. Matth., XIV, 31 ; xvi, 8 ; xvii, 17 sq. Ils avaient fait acte de foi quand Jésus leur avait promis sa chair à manger. Joa., VI, 68, 69. Comment admettre qu’à la cène, ils aient été tentés de se dire : Il est vrai que le Christ a accompli tous ces prodiges, mais la transformation dont il est ici question de son corps et de son sang est tellement différente de ses autres miracles, qu’à ce moment, pour la première fois, il nous faut douter que son pouvoir s’étende aussi loin ? Et peut-on supposer que ces hommes, qui si souvent ont entendu au sens littéral les paraboles et les allégories, aient conclu : Prises à la lettre, les déclarations de Jésus à la cène entraînent non seulement une dérogation aux lois de la nature, mais une contradiction ; donc il faut les entendre au sens figuré ? Wiseman, loc. cit.

Et si, avec les apôtres, nous crojons, nous aussi, que Jésus est Dieu qu’il sait l’avenir, comme le croient beaucoup de protestants hostiles pourtant au dogme de la présence réelle, est-il facile d’admettre que k Christ ait employé un langage qui devait induire en erreur et porter à l’idolâtrie presque tous les fidèles pendant plusieurs siècles et depuis le xvi « la majorité deschrétiens, langage sur le sens duquel le reste des hommes hésite et ne peut encore aujourd’hui se prononcer, langage qu’il suffisait de remplacer par quelques mots : Ceci est la figure de mon corps, de la passion, de l’Église, ete ?

Ce qu’a dit et fait Jésus.

Les textes qui attri-