Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/213

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riant avec un regard à de Thou. Qui peut vous amener, mon père, à une heure du matin ? Ce doit être quelque bonne œuvre ?

Joseph se vit mal accueilli ; et, comme il ne marchait jamais sans avoir au fond de l’âme cinq ou six reproches à se faire vis-à-vis des gens qu’il abordait, et autant de ressources dans l’esprit pour se tirer d’affaire, il crut ici que l’on avait découvert le but de sa visite, et sentit que ce n’était pas le moment de la mauvaise humeur qu’il fallait prendre pour préparer l’amitié. S’asseyant donc assez froidement près du lit :

— Je viens, dit-il, monsieur, vous parler de la part du Cardinal généralissime des deux prisonniers espagnols que vous avez faits ; il désire avoir des renseignements sur eux le plus promptement possible ; je dois les voir et les interroger. Mais je ne comptais pas vous trouver veillant encore ; je voulais seulement les recevoir de vos gens.

Après un échange de politesses contraintes, on fit entrer dans la tente les deux prisonniers, que Cinq-Mars avait presque oubliés. Ils parurent, l’un jeune et montrant à découvert une physionomie vive et un peu sauvage : c’était le soldat ; l’autre, cachant sa taille sous un manteau brun, et ses traits sombres, mais ambigus dans leur expression, sous l’ombre de son chapeau à larges bords, qu’il n’ôta pas : c’était l’officier ; il parla seul et le premier :

— Pourquoi me faites-vous quitter ma paille et mon sommeil ? est-ce pour me délivrer ou me pendre ?

— Ni l’un ni l’autre, dit Joseph.

— Qu’ai-je à faire avec toi, homme à longue barbe ? je ne t’ai pas vu à la brèche.

Il fallut quelque temps, d’après cet exorde aimable, pour faire comprendre à l’étranger les droits qu’avait un capucin à l’interroger.