Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/301

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pour vous ce que la crainte n’arrachait pas d’elle ; revenez à la vie et remontez sur le trône.

— Non, non, ma vie s’achève, cher ami ; je ne suis plus capable des travaux du pouvoir suprême.

— Ah ! Sire, cette persuasion seule vous ôte vos forces. Il est temps enfin que l’on cesse de confondre le pouvoir avec le crime et d’appeler leur union génie. Que votre voix s’élève pour annoncer à la terre que le règne de la vertu va commencer avec votre règne ; et dès lors ces ennemis que le vice a tant de peine à réduire tomberont devant un mot sorti de votre cœur. On n’a pas encore calculé tout ce que la bonne foi d’un roi de France peut faire de son peuple, ce peuple que l’imagination et la chaleur de l’âme entraînent si vite vers tout ce qui est beau, et que tous les genres de dévouement trouvent prêt. Le Roi votre père nous conduisait par un sourire ; que ne ferait pas une de vos larmes ! il ne s’agit que de nous parler.

Pendant ce discours, le Roi surpris rougit souvent, toussa et donna des signes d’un grand embarras, comme toutes les fois qu’on voulait lui arracher une décision ; il sentait aussi l’approche d’une conversation d’un ordre trop élevé, dans laquelle la timidité de son esprit l’empêchait de se hasarder ; et, mettant souvent la main sur sa poitrine en fronçant le sourcil, comme ressentant une vive douleur, il essaya de se tirer par la maladie de la gêne de répondre ; mais, soit emportement, soit résolution de jouer le dernier coup, Cinq-Mars poursuivit sans se troubler avec une solennité qui en imposait à Louis. Celui-ci, forcé dans ses derniers retranchements, lui dit :

— Mais, Cinq-Mars, comment se défaire d’un ministre qui depuis dix-huit ans m’a entouré de ses créatures ?

— Il n’est pas si puissant, reprit le grand Écuyer ; et ses amis seront ses plus cruels adversaires, si vous faites