Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/349

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ment ? La Reine nous aime, et nous sommes tous deux bien jeunes, attendons. L’avenir est beau, puisque nous sommes unis et sûrs de nous-mêmes. Racontez-moi ce que le Roi vous disait à Chambord. Je vous ai suivi longtemps des yeux. Dieu ! que cette partie de chasse fut triste pour moi !

— Il m’a trahi ! vous dis-je, répondit Cinq-Mars ; et qui l’aurait pu croire, lorsque vous l’avez vu nous serrant la main, passant de son frère à moi et au duc de Bouillon, qu’il se faisait instruire des moindres détails de la conjuration, du jour même où l’on arrêterait Richelieu à Lyon, fixait le lieu de son exil (car ils voulaient sa mort ; mais le souvenir de mon père me fit demander sa vie) ? Le Roi disait que lui-même dirigerait tout à Perpignan ; et cependant Joseph, cet impur espion, sortait du cabinet des Lys ! Ô Marie ! vous l’avouerai-je ? au moment où je l’ai appris, mon âme a été bouleversée ; j’ai douté de tout, et il m’a semblé que le centre du monde chancelait en voyant la vérité quitter le cœur d’un roi. Je voyais s’écrouler tout notre édifice : une heure encore, et la conjuration s’évanouissait ; je vous perdais pour toujours ; un moyen me restait, je l’ai employé.

— Lequel ? dit Marie.

— Le traité d’Espagne était dans ma main, je l’ai signé.

— Ô ciel ! déchirez-le.

— Il est parti.

— Qui le porte ?

— Fontrailles.

— Rappelez-le.

— Il doit avoir déjà dépassé les défilés d’Oloron, dit Cinq-Mars, se levant debout. Tout est prêt à Madrid ; tout à Sedan ; des armées m’attendent, Marie ; des armées !