Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/460

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reux de l’avoir vu. La reconnaissance prosterne les pauvres devant cette statue d’un bon roi ; qui sait quel autre monument élèverait une autre passion auprès de celui-ci ? qui sait jusqu’où l’amour de la gloire conduirait notre peuple ? qui sait si, au lieu même où nous sommes, ne s’élèvera pas une pyramide arrachée à l’Orient ?

— Ce sont les secrets de l’avenir, dit Milton ; j’admire, comme vous, votre peuple passionné ; mais je le crains pour lui-même ; je le comprends mal aussi, et je ne reconnais pas son esprit, quand je le vois prodiguer son admiration à des hommes tels que celui qui vous gouverne. L’amour du pouvoir est bien puéril, et cet homme en est dévoré sans avoir la force de le saisir tout entier. Chose risible ! il est tyran sous un maître. Ce colosse, toujours sans équilibre, vient d’être presque renversé sous le doigt d’un enfant. Est-ce là le génie ? non, non ! Lorsqu’il daigne quitter ses hautes régions pour une passion humaine, du moins doit-il l’envahir. Puisque ce Richelieu ne voulait que le pouvoir, que ne l’a-t-il donc pris par le sommet au lieu de l’emprunter à une faible tête de Roi qui tourne et qui fléchit ? Je vais trouver un homme qui n’a pas encore paru, et que je vois dominé par cette misérable ambition ; mais je crois qu’il ira plus loin. Il se nomme Cromwell.


Écrit en 1826.


FIN DE CINQ-MARS.