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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/32

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au juge ordinaire pour obtenir la séparation de biens. Nous savons comment les choses se passaient alors[1]. La femme exposait les faits de dissipation et de mauvais ménage sur lesquels était fondée sa demande en séparation. Sur cette requête on mettait : « Permis de faire assigner et à cette fin la femme autorisée. » Ensuite de quoi le mari ayant comparu, le juge invitait la femme à faire la preuve des faits qu’elle avançait, et l’on suivait une procédure assez semblable à celle qui était d’usage pour interdire un prodigue. La preuve étant faite, on plaidait comme en toute autre instance ; et si la demande était trouvée juste, on ordonnait que la femme fût séparée de son mari, on l’autorisait à administrer elle-même ses biens et l’on condamnait le mari à lui restituer sa dot et ses autres conventions, hormis le douaire, au lieu duquel on donnait à la femme une pension qui était ordinairement estimée à la moitié. En exécution de la sentence, la femme faisait faire inventaire des biens de la communauté, et pouvait se pourvoir pour ses conventions par toute voie de saisie sur tous les biens du mari. Ce fut le 2 juillet 1636 que Diane de la Mare[2] fut séparée de biens de Guillaume de la Bruyère. Cela n’empêcha pas le mari d’acquérir vers 1643 la charge de secrétaire ordinaire de la chambre du roi. Mais il n’en fut guère plus riche : car ses enfants n’acceptèrent sa succession que douze ans après sa mort. Le souvenir de ces événements demeura longtemps dans cette famille. Le petit-fils de Guillaume de la Bruyère semble y faire allusion quand il dit[3] : « Il n’y a qu’une affliction qui dure, c’est celle qui nous vient de la perte de nos biens : le temps qui adoucit toutes les autres aigrit celle-ci ; nous sentons à tous moments, pendant le cours de notre vie, que le bien que nous avons perdu nous manque. »

Il ne restait plus de Guillaume de la Bruyère que trois enfants : 1o Louis, né vers 1610, qui fut contrôleur des rentes assignées sur l’hôtel de ville de Paris, et qui épousa, le 25 juillet 1644, Élisabeth Hamonyn ; 2o Jean, né en 1617, et qui ne se maria jamais ; 3o Louise, mariée en 1652 à Martin de la Guyottière, chirurgien ordinaire du duc d’Anjou. Les enfants de Guillaume de la Bruyère eurent chacun une dot de 6,000 livres. Élisabeth Hamonyn, qu’épousa Louis, eut de son côté aussi une dot de 6,000 ls. Sa mère, veuve depuis treize ans, eut beaucoup de peine à lui constituer cette modeste dot. Elle était d’une

  1. Cl. Fleury, Institution au droit français, édition Laboulaye et Dareste, t. II, p. 315-316.
  2. Dictionnaire critique de Jal, article la Bruyère.
  3. Chap. vi, n° 76.