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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/33

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bonne famille bourgeoise composée de marchands et de magistrats. Ainsi un capital de 12,000 ls et le revenu de la charge de contrôleur des rentes de l’hôtel de ville, voilà toute la fortune de ce ménage bien assorti qui vivait dans la Cité, près Notre-Dame. Il en naquit huit enfants, dont cinq garçons. L’aîné de tous eut pour parrain son oncle Jean de la Bruyère, qui lui donna son nom. Ce fut l’auteur des Caractères : il fut baptisé le 17 août 1645, à la paroisse Saint-Christophe.

La famille de la Bruyère, trop connue sous la Ligue, tombe dans un complet oubli sous la Fronde. L’esprit frondeur ne lui manquait pas, mais la Fronde était plutôt une révolution aristocratique que populaire. Notre auteur a toujours montré un profond respect pour Richelieu[1], dont le grand dessein avait été d’affermir l’autorité du prince par l’abaissement des grands. Il n’a jamais nommé Mazarin. On dit que Mazarin se faisait si longtemps prier, qu’il donnait si sèchement, et chargeait une grâce qu’on lui arrachait de conditions si désagréables, qu’une plus grande grâce était d’obtenir de lui l’avantage de ne rien recevoir[2]. Je suppose que la famille la Bruyère obtint cette dernière faveur du ministre italien qui gouverna la France pendant la minorité de Louis XIV. Ces bourgeois de Paris avaient conscience de leur valeur personnelle[3]. « Il suffit, dit notre auteur, de n’être point né dans une ville, mais sous une chaumière dans la campagne, ou sous une ruine qui trempe dans un marécage et qu’on appelle château, pour être cru noble sur sa parole. » Lui, il était né à Paris, à l’ombre des tours de Notre-Dame et près de la Sainte-Chapelle. On dirait qu’il se souvient de ce voisinage[4] lorsqu’il nous parle du « bruit des cloches qui éveille les chantres et les enfants de chœur pendant la nuit, et dont la mélodie endort les chanoines et les berce de doux rêves jusqu’à ce que, tard dans la matinée, ils viennent à l’église réclamer le prix d’avoir bien dormi. » Mais il avait seulement 5 ans quand ses parents, en 1650, allèrent se loger sur la paroisse Saint-Merry. Deux ans plus tard, ils allèrent rue Grenier-Saint-Lazare, ou ils demeurèrent longtemps.

La Bruyère reçut une éducation religieuse. De son temps on n’en connaissait point d’autre. Alors l’idée de Dieu semblait si naturelle

  1. Chap.x, n° 21.
  2. Chap. viii, n° 45.
  3. Chap. xiv, n° 6.
  4. Chap. xiv. n° 26.