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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/58

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son ami et protecteur M. de Gaumont, reconnaissait que Descartes résolvait fort simplement des problèmes de physique réputés insolubles ; c’était là le plus grand attrait de la doctrine cartésienne. La Bruyère n’y résista pas : il se mit donc à étudier les mathématiques, à l’exemple du maître et de ses plus fidèles disciples[1] ; il n’en espérait d’autre utilité que d’accoutumer son esprit à se repaître de vérités et à ne se contenter point de fausses raisons. Il y trouva quelque satisfaction, car il poussa ces études[2] assez loin pour pouvoir plus tard calculer les distances de Saturne et de Jupiter. Il sera même jugé par Condé[3] capable d’inspecter et d’apprécier l’enseignement d’un des plus célèbres géomètres de l’époque.

Les amis de Descartes avaient alors un grand chagrin[4] : « ils ne pouvaient souffrir que le corps de leur cher et vénéré maître demeurât sur la terre étrangère, où il ne leur était point libre de chanter les cantiques du Seigneur et d’offrir leurs vœux au ciel sur son tombeau. » Depuis que la reine Christine de Suède, auprès de laquelle il était mort, avait abdiqué la couronne et s’était retirée à Rome, il leur semblait que personne en Suède ne s’intéressait plus à M. Descartes, et que le précieux dépôt de ses restes mortels ne servait que de spectacle à la curiosité des voyageurs. Personne ne fut plus intelligent pour pénétrer le fond du cœur des amis de Descartes et pour comprendre leurs soupirs, que M. d’Alibert, trésorier de France et général des finances à Paris. Ce M. d’Alibert, ou plus simplement Dallibert, avait une grande fortune et faisait grandement les choses. Du vivant de Descartes, il lui avait offert plusieurs fois de partager sa fortune avec lui ; le philosophe s’en était toujours excusé : il préférait sa modeste indépendance à la richesse. Cependant on racontait, dans la petite église cartésienne, que la dernière fois que M. Descartes était venu à Paris, voulant accorder quelque chose aux généreux desseins de M. d’Alibert, il lui avait persuadé de faire un immense établissement d’utilité publique pour le perfectionnement des arts et l’amélioration du genre humain, quelque chose comme le Conservatoire des arts et métiers et les écoles du dimanche sur la plus vaste échelle. Déjà le plan était convenu, et M. d’Alibert résolu à l’exécuter aussitôt après que M. Descartes au-

  1. Discours sur la méthode, 2e partie, p. 37, éd. du Panthéon.
  2. Chap. VI, n° 12.
  3. Lettre III : la Bruyère à Condé.
  4. Histoire de la vie de Descartes, par Baillet, t. II, p. 23, p. 433.