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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/59

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rait fait son voyage en Suède. Le philosophe mort, M. d’Alibert avait oublié ces beaux projets et s’était occupé d’autres affaires. Mais les regrets des amis de Descartes réveillèrent dans l’esprit de M. d’Alibert les sentiments d’affection qu’il avait eus pour l’illustre défunt ; il résolut de faire pour lui quelque chose d’éclatant[1]. Il était politique, mystérieux sur les affaires du temps ; sa richesse l’autorisait à croire qu’il avait du talent et de l’esprit. Il entreprit de faire revenir le corps de Descartes à Paris, et avec les bons offices de M. de Terlon, ambassadeur de France en Suède, il y réussit.

Pendant que Turenne faisait la conquête de la Flandre et que Condé envahissait la Franche-Comté, le corps de Descartes était rapporté en France sans difficulté, si ce n’est à la frontière de Picardie, où il fut arrêté quelque temps comme objet de contrebande par les douaniers de Colbert. Ce fut une véritable joie pour les cartésiens et pour la foule des curieux, quand on célébra eu grande pompe à Paris, dans l’église Saint-Etienne du Mont, les funérailles du philosophe français. Beaucoup de personnages de distinction dans le clergé, la magistrature et le barreau y assistèrent. Le savant abbé Blanchard officiait ; l’abbé l’Allemand, chancelier de l’Université, allait prononcer l’oraison funèbre, lorsque, sur un ordre venu de la cour, il dut se taire. La cérémonie religieuse n’en fut ni moins magnifique, ni moins recueillie. Le corps fut déposé dans cette église, non loin des restes de sainte Geneviève, patronne de Paris. Après l’office, M. d’Alibert invita les principaux disciples à un grand banquet chez un des restaurateurs du voisinage. Leurs noms méritent d’être connus : c’étaient Clerselier, qui avait publié la correspondance de Descartes ; les maîtres des requêtes Habert de Montmore, d’Ormesson et Guédreville ; les avocats Cl. Fleury et Cordemoi ; Rohault, professeur de physique ; Auzout, mathématicien ; le Laboureur, bailli de Montmorency ; Petit, intendant des fortifications ; Denys, médecin ordinaire du roi, et quelques autres. Dans ce banquet, on ne manqua pas de célébrer le triomphe du cartésianisme en France. Nous doutons que la Bruyère fût des invités ; mais il était probablement déjà de l’association cartésienne : du moins il parla toujours avec grand respect de Descartes et des honneurs rendus en France au philosophe français.

Le cartésianisme alors avait deux sortes d’ennemis : 1o les dévots

  1. Chap. vi, n° 83.