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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/75

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avait découvert deux secrets merveilleux : 1o pour faire à volonté de beaux rêves ; 2o pour faire de la France une nation parfaite. Le premier secret, fort employé de nos jours par bien des gens qui ne savent pas que l’inventeur fut attaché à l’éducation du grand Dauphin, est bien simple : il suffit, dit-il, de s’entretenir le soir de belles choses et de se coucher sans souper. Le second secret dépend du premier : Cordemoi en fit l’expérience. Une nuit, après s’y être bien préparé par le procédé connu, il fit un songe admirable[1]. Il se promenait avec son ami le savant et silencieux Conrart, et il lui disait : « Nous avons une religion parfaite dans l’Église catholique, un Dieu parfait dans le système de feu M. Descartes, un gouvernement parfait dans la monarchie absolue et héréditaire, un roi parfait dans la personne de Sa Majesté Louis XIV ; que faut-il maintenant chercher ? Des sujets dignes de leur maître, une nation parfaite. Cela est difficile à obtenir, mais cela mérite le concours de tous les gens de bien. » Platon dans sa République, Xénophon dans sa Cyropédie, avaient montré que par une bonne éducation de la jeunesse on peut faire une nation parfaite. Pour la France, la moitié de ce grand ouvrage était déjà accomplie. Le Dauphin, doué par sa naissance de tous les dons des cieux, élevé par le vertueux M. de Montausier et par l’évêque de Condom, n’aura pas de peine à être parfait. Il ne restait donc plus qu’à élever sur les mêmes principes tous les jeunes gens qui devaient un jour être les sujets du Dauphin ; surtout ses proches parents et ses meilleurs amis. Alors on verra… Ici l’admiration avait fait parler Conrart : de même que les jeunes Persans apprirent mille vertus en mangeant du cresson alénois avec Cyrus, de même que Cyrus les avait tous surpassés par ses qualités naturelles et acquises, et les avait conduits, dociles et semblables à lui, à la conquête du monde ; de même le Dauphin, entouré de la nouvelle nation, meilleure que ses pères, accomplira encore plus de merveilles que Louis XIV. Bossuet avec sa haute raison modérait ces emportements de la logique de Cordemoi. Pour comprendre le règne de Charlemagne, il fallut débrouiller les vieilles chroniques mérovingiennes et carlovingiennes ; avec l’aide de l’abbé de Vares et de quelques autres savants rémunérés pour cela, Cordemoi prépara une histoire des deux premières races de nos rois. En 1672, il obtint l’expectative de la charge de

  1. De la réformation de l’État, par Cordemoi.