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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/79

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finances dont il faisait partie étaient des tribunaux, dont la compétence était fort étendue et qui prétendaient être des cours supérieures comme les chambres des comptes : ils veillaient à maintenir dans son intégrité le domaine du roi, et pouvaient après délibération secrète, en vertu d’une simple ordonnance, forcer les vassaux, les tenanciers et autres débiteurs du roi, de se ranger à leur devoir. Ils examinaient si les recettes accusées par ceux qui maniaient les deniers du roi étaient complètes, et si leurs dépenses étaient fondées sur des titres légitimes. Ils faisaient la répartition des tailles, saisissaient féodalement, connaissaient des déshérences et confiscations, surveillaient les grands chemins, ponts, canaux, rivières, édifices, rues et maisons, et inspectaient tout ce qui regarde la grande et la petite voirie. Tous les deux ans, en janvier, février et mars, ils faisaient une chevauchée dans leur généralité, pour visiter les domaines du roi, et s’assurer de l’observation des ordonnances royales. La Bruyère ne prit point part à la chevauchée de 1675. Il n’était pas fait pour exercer cet état. « Il faut, dit-il[1], des saisies de terres, des enlèvements de meubles, des prisons et des supplices, je l’avoue ; mais justice, lois et besoins à part, ce m’est toujours une chose nouvelle de contempler avec quelle férocité les hommes traitent d’autres hommes. »

La Bruyère eut toujours une profonde sympathie pour le laboureur[2], qui jouit du ciel, qui cultive la terre, qui fait pousser les riches moissons et par son travail empêche les autres hommes de manquer de pain. Il avait une prédilection particulière pour le villageois de Normandie[3], qui était doux et insinuant. Au contraire, il trouvait grossiers le bourgeois et le magistrat de cette province : « Leur rusticité, dit-il, est héréditaire. » Viendrait-elle des magistrats de Rouen, qui avaient fait attendre le nouveau trésorier de France avant de le recevoir ? ou viendrait-elle de quelque Caton de basse Normandie, comme Perrin Dandin, qui aurait rendu la ville de Caen maussade pour la Bruyère ? Nous ne savons pas ; mais nous trouvons cette singulière remarque dans les Caractères de ce siècle[4] : « Les provinciaux et les sots sont

    Nancy, 1776, in-4o, c. viii, p. 100 et 101 ; ou plutôt l’Histoire de la justice administrative en France, par R. Dareste.

  1. Chap. xi, n° 127.
  2. Chap. vii, n° 21.
  3. Chap. xii, n° 22.
  4. Chap. v, n° 51.