Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
mémoires d’un communard

Intervenant, je fis observer aux sœurs — surtout à la supérieure — que leur action était doublement coupable ; que non seulement elles avaient voulu s’approprier un bien qui ne leur appartenait pas, et, qu’ainsi faisant, elles portaient préjudice à la Ville et aux malheureux qu’elle secourait, mais qu’elles donnaient à des enfants, à des jeunes filles qu’on leur avait confiées, un pernicieux exemple.

— La Commune, achevai-je, est en droit de prendre à votre égard des mesures sévères, de vous envoyer à Saint-Lazare avec les voleuses !

Ce fut une explosion nouvelle de pleurs et de cris ; puis, tout à coup, une jeune sœur, superbe d’indignation, arrache sa coiffe et s’écrie, les yeux pleins de larmes :

— J’en ai assez d’un pareil métier !… Ces vêtements me font honte… Je les quitte ; aussi la congrégation, et rentre dans la vie civile !…

Les autres sœurs dardèrent sur cette pauvre enfant des regards de feu.

Je la calmai, ainsi que les jeunes filles, et priai deux citoyennes de conduire la sœur à leur Comité. Puis, revenant aux orphelines, je leur dis que la maison leur demeurait ouverte, que je ne les rendais pas responsables du délit qu’on leur avait fait commettre, et que de braves mères de famille prendraient soin d’elles, auraient pour elles des attentions, une sollicitude qu’elles n’avaient pu connaître en cette maison de mensonge et d’exploitation.

— La Commune, dis-je, sait sévir lorsqu’il le faut, mais elle connaît aussi son devoir vis-à-vis des faibles.

Les sœurs étaient tremblantes ; je leur demandai si elles se repentaient et voulaient suivre l’exemple de leur jeune compagne, rentrer dans la vie ordinaire, faire simplement leur devoir de femmes ?

Elles se turent, me regardant en dessous.

Perinde ac cadaver ! C’étaient là des cadavres obéissants, perdus pour la société, tout prêts à accomplir les pires actions pour l’amour d’un dieu cruel, avide de sang.

Servantes du Seigneur jusqu’au déshonneur ; mais ennemies de l’humanité vraie et renonçant au titre le plus noble : celui de mère !