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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/115

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mémoires d’un communard

— N’ayez pas peur ; les balles, ça ne tue pas !

Neuilly n’était plus qu’un monceau de décombres et on s’y battait jour et nuit.

Le 17 mai je me rendis à la Grange-Ory pour y visiter le 118e bataillon, auquel appartenait mon frère, que je n’avais pas revu depuis la scène du café Combes. Cette visite, par suite d’ordres incompris, ou peut-être, parce que l’officier commandant la porte d’Orléans était un agent versaillais, m’obligea à me rendre à la Guerre, car, malgré ma qualité de président de légion, je ne pus faire fléchir la consigne et franchir les remparts.

Cet incident me fournit l’occasion de voir Delescluze que depuis de longs mois je n’avais eu le plaisir de rencontrer. Le vieux et rude jacobin était, lui aussi, vaincu par le travail sans arrêt : sa voix était à peu près éteinte et semblait ne précéder que de très peu de temps le départ de la vie. Delescluze, jadis notre adversaire, s’était donné tout entier à la Révolution sociale, contrairement à cette foule de politiciens bourgeoisant, que nous avions entendus pérorer à la salle du Jeu de Paume et parler d’un amour pour le peuple qui jamais n’exista.

Attristé de le trouver dans un tel état de santé, je ne pus m’empêcher de lui donner l’amical conseil de se soigner.

— Je n’en ai pas le temps ! me dit d’une voix sourde, à peine intelligible, l’héroïque citoyen.

Je serrai sa main moite et enfiévrée, et quittai le ministère de la Guerre, muni de l’autorisation exigée par l’étrange officier commandant la porte d’Orléans.

Je ne devais plus revoir le citoyen Delescluze, pour lequel j’avais une très vive estime et qui m’honorait de son amitié ! Huit jours après, il tombait sur la barricade du Château-d’Eau, où il était allé chercher stoïquement la mort.

À mon retour au bastion, je fus très surpris de voir qu’un individu à tournure militaire, ayant l’aspect d’un gendarme, franchissait le pont-levis sans qu’aucune observation lui fût faite, et prenait délibérément la même route que moi. Nous cheminâmes ainsi, nous observant mutuellement, jusqu’à la Grange-Ory. Voyant que le factionnaire placé sur le bord de la route le