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des barricades au bagne

laissait passer, je le hélai et le priai d’entrer avec moi au corps de garde. Il s’y refusa d’un air menaçant. Je saisis alors mon revolver et lui intimai l’ordre de s’arrêter.

La sentinelle appela aux armes et, gardes nationaux et sous-officier sortirent du poste placé à l’entrée de la Grange-Ory. Nous fûmes bientôt tous deux entourés. Je déclinai mon nom et mes fonctions, puis j’expliquai au sergent le motif qui m’avait fait arrêter l’individu en question, et le priai de faire appeler le commandant Rouget, afin que l’on sût à quoi s’en tenir.

Le sergent m’invectiva, disant qu’il n’avait pas à connaître mes ordres ; ses hommes firent chorus avec lui, et je vis le moment où un mauvais parti allait m’être fait. Pendant ce temps, l’individu mystérieux se hâtait de disparaître.

J’étais aussi ahuri qu’indigné d’une attitude pour moi incompréhensible, et je me demandais ce qui se passait en ce cantonnement, où je comptais cependant tant d’amis ?

Après cette scène, je pénétrai dans la Grange-Ory, vaste établissement de tannerie ; je ne pus y rencontrer un seul officier. Ni le commandant Rouget, ni le capitaine Férino, ni aucun de ceux que le simple devoir mettaient dans l’obligation d’être à leur poste.

Et mon frère, où était-il ?

Ecœuré, je revins sur mes pas et passai à nouveau devant le corps de garde où j’essuyai les rires moqueurs des gardes nationaux, heureux, sans doute, d’avoir insulté un délégué de la légion. Je me dirigeai, péniblement impressionné par ce désordre, vers la tranchée, où je trouvais le sous-officier Lefebvre, un ami personnel ; mais là encore, pas d’officier. Une quarantaine d’hommes se trouvaient avec Lefebvre.

Je lui narrai la réception qui m’avait été faite, la disparition de l’individu suspect et l’impossibilité de rencontrer un officier, afin d’avoir une explication sur la situation et le mauvais esprit des hommes.

— Oh ! me dit-il, le notre est également parti ; ils doivent être tous avec le commandant Rouget.

— Eh bien, lui dis-je, voilà qui témoigne d’un grand souci de leurs hommes et de la défense. C’est du propre ! Je ne m’étonne plus du relâchement que je