Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
126
mémoires d’un communard

prendre à dos les deux barricades qui s’élèvent en cette dernière rue, entre les rues Gay-Lussac, Royer-Collard et Soufflot, ce qui leur permettrait en même temps de gagner facilement la mairie par la rue des Fossés-Saint-Jacques. Mais la rue Royer-Collard est gardée.

Une ligne de tirailleurs, placés sur le fronton du Panthéon, protège d’un feu nourri la seconde barricade de la rue Soufflot, où une poignée d’héroïques citoyens affrontent stoïquement la mort. Un à un les artilleurs sont moissonnés par les Versaillais, installés au palais du Luxembourg ou abrités derrière les arbres du jardin. Il faut, cependant, arrêter l’ennemi, qui va nous tourner. Je m’élance rue Royer-Collard, où des gardes nationaux viennent d’édifier une seconde barricade. Ce sont les camarades du 119e de marche et des artilleurs venant des rues du Val-de-Grâce et Gay-Lussac.

À ce moment apparaît un sergent-major de chasseurs à pied : « Vive la garde nationale ! » s’écrie-t-il.

J’ordonne de charger la pièce à mitraille et d’attendre, car je soupçonne l’intention scélérate de l’ennemi, qui, cent fois déjà, a fait tomber les fédérés dans ce piège grossier.

— Vivent les soldats ! dis-je à haute voix.

À ce cri encourageant, la rue s’emplit de chasseurs qui, à leur tour, acclament la garde nationale. Je retiens les naïfs comme les impatients et monte sur le retranchement improvisé.

— Jeunes soldats, si vous avez réellement l’intention de fraterniser avec nous, prouvez votre bonne foi en déposant vos fusils le long des maisons, et venez ensuite à la barricade.

Mais au lieu de cela ils s’avancent, toujours plus nombreux, le fusil au poing, acclamant la Commune, se croyant déjà maîtres de la barricade…

— Halte ! fis-je d’une voix rude.

— Vive la France ! En avant ! en avant ! A mort ! à mort ! les communards !

— Feu à volonté ! et je sautai au milieu des miens.

Pièce et chassepots vomissent la mort : des chasseurs, lancés en avant, viennent expirer au pied même de la barricade, dont les défenseurs ont su déjouer leur manœuvre traîtresse. Ceux que les balles ont épargnés