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des barricades au bagne

J’avais noué à la hampe du fanion, planté sur la barricade, mon écharpe de délégué de la Commune, et, résolu à mourir, je tirai sans discontinuer. Mes compagnons, dont, deux enfants d’une quinzaine d’années, faisaient de même. Cependant, si quelques cartouches nous demeuraient, les artilleurs n’avaient plus de munitions, et il fallut songer à sauver les pièces. On tint conseil et il fut décidé que les camarades qui voudraient aller au Onzième nous laisseraient leurs cartouches et s’attelleraient aux canons.

Cette décision prise, on demanda quels étaient les citoyens qui désiraient partir avec les canons ? On finit par en décider un certain nombre. On se munit de cordes et, non sans difficultés, après qu’on se fut serré la main et dit un dernier adieu, hommes et pièces descendirent la pente, quelque peu dangereuse, qui, par la rue des Boulangers, mène à l’Entrepôt. Quant à ceux qui demeuraient, ils s’apprêtèrent à mourir.

Derrière les combattants ont été épandues les cartouches, et on tire éperdument ; trois ou quatre hommes rampent le long du square, et chacun de leur coup de fusil est mortel. A la fin, l’ennemi se retire, pensant, sans doute, qu’il convient d’attendre les premières heures du jour pour achever de déloger les enragés qui lui tiennent tête.

En cette accalmie, de nombreuses femmes viennent à la barricade et, autant à l’aide de supplications qu’avec une certaine violence, elles nous arrachent à une mort d’autant plus certaine qu’elle était voulue :

— Vous êtes fous, citoyens ! — Vous voulez vous faire tuer inutilement ! — Des jeunes hommes comme vous, mourir ; nous ne le permettrons pas ! — Allons, venez ! nous avons des effets civils… — Vous n’avez plus que quelques cartouches et les Versaillais vous tueraient sans que vous puissiez vous défendre. — Donnez-nous vos chassepots… hâtez-vous, car les Versaillais vont sûrement revenir…

Et les femmes nous entraînent. Je jette un dernier regard sur cette barricade, où, exténué de fatigue, désespéré, je m’étais promis de mourir, car je ne pouvais m’illusionner sur le sort qui attendait ceux qui, comme moi,