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mémoires d’un communard

breux obus s’y trouvaient amoncelés et que la poudre ne nous faisait pas défaut.

Ces apeurés comptaient sans les sentiments d’humanité ancrés dans le cœur des pionniers du droit qui, malgré la légitimité de leurs justes représailles, ne se purent résoudre à immoler des milliers d’innocents. Seuls, les professionnels de la tuerie ont de ces gestes de destruction en masse.

Une nouvelle ligne de défense s’était donc formée, mais combien faible ! Le plus étrange, c’est que mon frère, que l’on m’avait dit tué, se trouvait encore à son poste de combat, au coin de la rue Saint-Jacques et du boulevard Saint-Germain, au moment même où, de la rue Monge, nous nous apprêtions à repousser les Versaillais qui viendraient par la rue des Ecoles et la place Maubert.

Battant en retraite avec l’artillerie qu’il possédait, mon frère fut arrêté en chemin par un agent versaillais, habillé en officier de fédéré, et qui se disposait à lui faire un mauvais parti. Grâce à son sang-froid, les rôles se trouvèrent renversés. Mais cela avait demandé quelque temps, et, lorsque sa petite troupe déboucha, à la hauteur de la rue Monge, nous l’accueillîmes par une fusillade ; fort heureusement que quelqu’un cria que nous commettions une erreur, que nous avions devant nous des fédérés. Sans cette judicieuse observation, il eût pu se faire — tant était profonde notre conviction qu’aucun des nôtres ne pouvait se trouver, à cette heure, place Maubert — que nos balles missent à mort ceux que le citoyen Lisbonne venait de sauver, et parmi lesquels se trouvait mon frère.

Quelques instants après les Versaillais apparaissaient et la bataille s’engageait à nouveau.

Sur une terrasse formant tonnelle, à l’endroit où s’élève, aujourd’hui, l’immeuble qui, du côté droit, fait le coin de la rue des Boulangers, nous avions établi deux pièces dont le tir protégeait la barricade, placée en avant. Ces pièces pouvaient également balayer le haut de la rue des Fossés-Saint-Victor (actuellement rue Cardinal-Lemoine prolongée). On se battit là jusqu’à la nuit, non plus comme des hommes qui espèrent vaincre, mais en déséspérés qui veulent vendre leur vie le plus cher possible.