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des barricades au bagne

Rien ne vaut la peine d’être dérobé ; ce guerrier prend le tout et va le jeter pardessus une espèce de barrière, devant laquelle se voient deux factionnaires.

Ceci fait les gendarmes nous conduisent vers cette barrière, formée de caisses d’orangers renversées : nous la franchissons sur des planches disposées en dos d’âne, qui nous permettent de pénétrer dans notre nouvelle prison, située dans la partie la plus basse de la voûte et se terminant avec la dernière marche de l’escalier monumental qui mène à la Terrasse du Château. Ce réduit sert, en temps ordinaire, de dépôt au fumier destiné aux orangers.

Lors de l’occupation allemande on l’avait utilisé comme porcherie, et les gorets y avaient laissé une partie de leur vermine. Les parois, où régnait une humidité constante, suintaient et transformaient le sol en bourbier.

Moins heureux que les animaux qu’ils remplaçaient, les prisonniers ne devaient pas connaître la paille : ils devaient s’asseoir et se coucher dans la boue. Ainsi l’exigeait, paraît-il, le salut de la société bourgeoise, contre laquelle ces infâmes communards s’étaient révoltés.

La Fosse-aux-Lions ne prenait jour que par la voûte et, lorsqu’on se trouvait devant ce cul-de-sac, on n’apercevait qu’un trou noir où s’agitaient de vagues formes humaines.

Tel était l’horrible lieu que le génie inventif de nos vainqueurs avait transformé en prison. Ils s’étaient dit : « Puisqu’on n’assassine plus sommairement et que, d’autre part, les conseils de guerre ne pourront nous offrir qu’une centaine de cadavres, nous allons plonger dans ce cloaque un certain nombre de nos ennemis et, du diable, si les poux de porcs aidant la mauvaise nourriture, le manque d’air respirable et l’humidité, ils ne passent de vie à trépas. »

Et, afin que le programme fût exécuté jusqu’au bout, le général Appert (notre ex-ambassadeur à Saint-Pétersbourg) et le colonel Gaillard — mânes d’Henry, saluez ! — choisirent comme exécuteur de leurs ordres un individu de sac et de corde : le commandant Séré de Lanauze.