Ce monsieur fut à la hauteur de la fonction dont ses dignes chefs le chargèrent.
Dès que nous foulâmes ce sol houeux, nous cherchâmes à distinguer les gens et les objets qui nous entouraient, mais nous ne pûmes y parvenir et nous demeurâmes à la même place. Peu à peu, cependant, nos yeux se familiarisèrent avec l’obscurité et nous vîmes que, vers le fond, à droite, il y avait un espace vide : nous nous y dirigeâmes et en prîmes possession sans mot dire, car, dès notre entrée, les factionnaires avaient imposé silence, sous peine de tirer dans le tas (sic).
Autour de nous se voyaient une vingtaine d’hommes qui, curieusement, nous dévisageaient. Je souffrais de voir mon frère partager cette nouvelle épreuve et je ne pus m’empêcher de le lui faire observer.
— Bah ! me dit-il, ne te tourmente pas pour moi ; je préfère encore être avec toi que d’ignorer ta situation.
Emu jusqu’aux larmes, je lui serrai la main avec force.
— L’essentiel est que tu cesses d’être malade, et puis nous verrons. Le dernier mot n’est peut-être pas dit.
Ainsi parlant, mon vaillant frère s’en fut ramasser notre linge, sali, couvert de boue, cependant qu’à voix basse nos nouveaux compagnons nous adressaient quelques paroles sympathiques. Nous en reconnûmes quelques-uns, d’autres se nommèrent. Parmi ces détenus se trouvaient des hommes que tel gendarme avait fait enfermer à la Fosse-aux-Lions dans un moment de mauvaise humeur ou pour s’offrir une fantaisie de tourmenteur.
Nous citerons, de mémoire : Caria père, mort au bagne ; Bedouch, le vieil Icarien, toujours vivant et militant ; Gustave Maroteau, ex rédacteur en chef de la Montagne ; Lesueur, ex-maître d’hôtel à l’Hôtel de Ville ; Descamps, ex-membre de la Commune et ancien brigadier de sergents de ville ; deux ex-gardiens de la prison de la Roquette ; Spezzani, un ex-garibaldien.
Plus tard, d’autres vinrent nous rejoindre : Soapteur, Valigrane, Th. Budaille, Murat, délégué à la Monnaie ; H. Brissac, ex-secrétaire du Comité de Salut Public ; combien d’autres encore, dont nous regrettons d’avoir oublié les noms !
