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des barricades au bagne

entraîner soit la peine de mort, soit les travaux forcés à temps ou à perpétuité.

Cela déplut aux grands pourvoyeurs du poteau de Satory, les sieurs Appert et Gaillard, qui annulèrent le rapport et désignèrent un autre capitaine-rapporteur pour « instruire » l’affaire des deux frères Allemane.

Après un mois de séjour à Mazas, je comparaissais devant la onzième chambre correctionnelle, qui me gratifia de quinze mois de prison pour m’être permis de remplir les fonctions d’adjoint sans le consentement des autorités régulièrement constituées. Mon collègue Muraz fut condamné à la même peine. Mais ce n’était là, pour moi, qu’une entrée en matière, quelque chose comme un apéritif judiciaire, car, à nouveau, mes bons amis les juges militaires me réclamèrent.

Le 28 septembre 1871, nos poignets unis par le « chapelet de saint François », mon collègue Muraz et moi sortions de Mazas et nous acheminions, en compagnie de deux gendarmes, vers la gare Montparnasse.

A notre arrivée à la gare nous dûmes constater qu’à la Préfecture de police on n’est pas ennemi de l’ironie. Malgré que les mouchards ne fissent pas défaut — Paris en regorgeait — on avait cru devoir charger du service d’inspection de la dite gare le sieur Montagne, l’ex-secrétaire particulier de mes co-délégués à la mairie du Cinquième, Muraz et Aconin. C’était là un trait d’esprit que je me plais à signaler, et dont la « Sûreté » — qui n’en manqua jamais—peut revendiquer l’honneur.

Apercevant le quidam aux aguets, je lui criai, en désignant Muraz :

— Montagne ! voici votre ancien chef ; vous lui devez de venir le saluer, car il fut vraiment bon pour vous…

Montagne court encore. Quant aux gendarmes, ils parurent se demander ce que cela signifiait.

Un peu honteux de son aveuglement au sujet de son ex-secrétaire, et peu satisfait de l’incident qui donnait raison à mes préventions, mon compagnon observa le plus complet mutisme pendant que nos conducteurs nous faisaient traverser la gare et monter dans le compartiment qui nous était réservé. Le train s’ébranla et, une heure après, nous faisions notre entrée aux Grandes-Ecuries, où se trouvait notre nouvelle prison.