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mémoires d’un communard

brûlais d’envie de me joindre aux évadants, dont je n’étais séparé que de quelques pas ; mais n’allais-je pas compromettre une si belle évasion, perdre deux hommes que le poteau de Satory attendait ?…

Je demeurai cloué sur place. Combien amèrement j’eus à regretter, par la suite, mes hésitations !

J’espérais, l’appel ne se faisant que très rarement par les gendarmes, que la nuit et la matinée se passeraient sans alerte, et, qu’à mon tour, la distribution faite, je pourrais tenter de m’échapper.

Je comptais sans la bassesse humaine.

La nuit était venue ; la lampe unique qui nous éclairait était placée près de la porte et ses rayons lumineux se bornaient à éclairer l’espace où se tenaille factionnaire : le reste de la vaste salle se trouvait plongé dans l’obscurité. Tous mes compagnons de détention paraissaient dormir. Vers neuf heures, on remplaça le factionnaire, et la salle retomba dans le silence.

Tout à coup, quelqu’un couché non loin de moi s’adressa, à mi-voix, à un de ses voisins :

— Vous dormez ? demanda-t-il.

— Laissez-moi la paix ! répondit celui-ci.

— Mais, vous ne savez pas, il y en a qui se sont évadés !…

— Qu’est-ce que cela peut me faire ?

— Ah ! vous croyez ; mais on va nous faire des misères…

— Je vous prie de me laisser dormir.

J’avais écouté ce dialogue la mort dans l’âme, pressentant que ce misérable allait dénoncer l’évasion, donner l’alarme, m’empêcher de m’évader à mon tour. Oh ! comme je l’aurais étranglé de bon cœur.

Je l’entendais murmurer, chercher à réveiller quelqu’un autour de lui. N’y pouvant plus tenir, je lui allongeai un coup de pied vigoureux : il poussa un cri sourd, mais se tint coi.

Il attend que le jour vienne, pensais-je, et, doucement, je m’écartai.

Je ne m’étais pas trompé : à peine l’aube avait-elle dissipé les ombres de la nuit que ce triste individu se levait d’un bond et criait au factionnaire :

— Il y en a qui se sont évadés !…