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mémoires d’un communard

Signalé comme « dangereux », je n’eus pourtant qu’à me louer de son attitude et, étant donné qu’il convient de tenir compte du régime de ces tristes demeures, je suis convaincu qu’en parlant favorablement de M. Boucher j’exprime l’opinion fidèle de tous les camarades de la Commune qui, comme moi, passèrent par la Maison de Correction, et ils furent légion.

Un simple exemple suffira pour faire apprécier le caractère de ce directeur de prison.

Au nombre de huit, couchant dans le même dortoir, nous avions préparé une évasion. Il s’agissait de franchir une petite cour séparant la prison d’un jardin donnant sur une rue ; pour ce faire, nous avions dévissé la longue planche surmontant nos chalits et servant à placer nos effets ; deux barreaux avaient été également sciés à l’une des fenêtres éclairant le dortoir.

Je crois devoir taire à l’aide de quel moyen nous nous étions procuré les scies qui nous avaient été nécessaires : on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve.

Or, lorsque tout fut prêt et que nous n’attendions plus qu’une nuit obscure pour mettre notre projet à exécution, un vil gredin s’en fut avertir le directeur. Il est toujours des sacripants prêts à trahir leurs camarades.

Evitant d’ébruiter l’incident, le directeur se contenta de nous placer dans un autre dortoir, puis, cette mesure prise, il nous fit tranquillement observer que si nous avions projeté de nous évader, en franchissant la cour sur une planche reposant sur l’appui de la fenêtre et la crête du mur qui lui faisait face, nous avions fait un très mauvais calcul, car une sentinelle était, chaque nuit, placée dans cette cour, et le premier de nous qui se fût hasardé sur la planche eût été abattu sans coup férir.

— Vous voyez, Messieurs, ajouta en riant le directeur, que cette planche n’était pas pour vous une planche de salut.

Puis il conclut :

— Le fâcheux, c’est qu’en partie le matériel se trouvant détérioré, j’ai dû vous changer de dortoir. Je vous conseille donc d’être plus raisonnables à l’avenir.

Nous comprîmes qu’il valait mieux rire que se fâcher