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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/192

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des barricades au bagne

de la douce ironie de M. le Directeur de la Maison de Correction.

Lorsqu’il apprit quelque temps après cette aventure, que mon nouveau capitaine-rapporteur était M. Demoignaux de la Salle, dont la réputation de canaillerie et de grossièreté était depuis longtemps justement établie, il me fit appeler et, avec une bienveillance que je ne saurais oublier, il me conseilla d’être calme, de ne pas obéir à mon tempérament, par trop fougueux.

— Cet officier nourrit contre les communards une haine féroce ; évitez donc, pour votre mère, pour ceux qui vous aiment, tout ce qui pourrait envenimer l’instruction de votre affaire.

Je remerciai M. Boucher de ses conseils, mais je lui dis que je connaissais de réputation le capitaine-rapporteur Demoignaux, que c’était un ennemi implacable, aussi lâche que déloyal, et que j’étais disposé à relever ses insolences, à le remettre à sa place…

— Tant pis ! ajouta le directeur, car il vous fera condamner à mort.

Je le remerciai à nouveau et fus rejoindre mes camarades de détention, en ce moment réunis dans le préau. Il y avait là le docteur Goupil, Elisée Reclus, Calvinac, Géresme, Coudereau, Jolivet, Lisbonne, Eyraud, Barrois, Lagarde, etc., etc., je leur contai l’entrevue que je venais d’avoir avec le Directeur, et chacun se plut à reconnaître que c’était là un honnête homme, d’autant plus estimable qu’il compromettait sa position en se montrant humain en s’élevant contre les scélératesses des rapporteurs et des juges des conseils de guerre. Il donnait là un haut exemple de moralité, que bien peu de fonctionnaires civils avaient le courage d’imiter.

Mais revenons à mon nouveau capitaine-rapporteur.

Le sieur Demoignaux était fort apprécié par ses chefs : le général Appert et le colonel Gaillard. Dix condamnations à mort, une quarantaine aux travaux forcés, marquaient déjà les exploits de ce misérable individu au moment où on le désignait comme rapporteur de l’affaire des frères Allemane, trop mollement instruite, selon la Grande Prévôté, par M. de Beaumont, dont il avait fallu annuler le trop anodin rapport.

C’était un reître à la façon Estherhazy, un homme de