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des barricades au bagne

faits tels, par exemple, que ceux de la création d’un journal satirique, dont Calvignac fut le rédacteur en chef ; les leçons de gymnastique données par Elysée Reclus et d’anatomie par Goupil, pour m’occuper à nouveau de mon capitaine-rapporteur.

Demoignaux de la Salle n’avait d’autre souci que celui de me faire fusiller et d’envoyer mon frère au bagne ; aussi, crut-il avoir découvert le témoin nécessaire en la personne du sieur Marié, cet ex-tambour-major du 59e bataillon, que les hommes de son nouveau bataillon avaient arrêté à la suite de l’insuccès de la sortie d’avril, en l’accusant de les avoir trahis.

Nos lecteurs se doivent rappeler que ledit Marié avait été mouchard sous l’Empire et même avant ce régime. On le voyait, dans les fêtes foraines, coiffé d’un bonnet de coton, faisant tirer du pain d’épices. Il n’était pas un faubourien qui ne le connût, ainsi que son fils, coiffé de même façon.

Aussi peu scrupuleux l’un que l’autre, Marié et Demoignaux se devaient fatalement entendre. Ils dressèrent donc leurs batteries contre moi.

La veille de ma comparution devant le conseil de guerre, je reçus la visite de mon capitaine-rapporteur. Me Demange, défenseur de mon frère, l’accompagnait. Le premier ne me cacha pas qu’il concluait à la peine de mort, mais il dut avouer, en présence de Me Demange, la parfaite honorabilité de tous les membres de ma famille.

J’en pris acte et lui fis observer que je mourrais honnête, tandis que certain capitaine-rapporteur n’en pourrait dire autant.

Il me quitta furieux, disant que la vue des chassepots du peloton d’exécution aurait raison de mes bravades.

— Quand on accepte des fonctions comme les vôtres, lui criai-je, on est incapable de mesurer le courage de quelqu’un.

Me Démange le suivit en hochant la tête.

Revenu au milieu de mes amis, je contai, par le menu, ce qui s’était passé, et leur dis que c’était pour le lendemain.

— Ton affaire est claire, me dirent-ils ; tu seras condamné à mort !