— C’est aussi mon avis, ajoutai-je.
Le lendemain, des gendarmes me vinrent prendre et me conduisirent au Manège, où siégeait le conseil de guerre. Mon frère m’y avait précédé, et je pus l’embrasser avant que l’ordre de nous séparer, en plaçant entre nous des gendarmes, ne fût donné. Je croyais l’embrasser pour la dernière fois.
Le sieur Sénart, commissaire du gouvernement, prononça un réquisitoire furibond, où il réclamait ma condamnation à mort et les travaux forcés pour mon frère.
On appela, pour la seconde ou la troisième fois, le témoin à charge Marié, dont le témoignage était indispensable à l’accusation. Pas de Marié. Qu’était-il devenu ?
Sénart était désespéré.
Après un appel encore infructueux, voici qu’apparaît enfin le sieur Marié. Son grand corps décrit des balancements inquiétants, durant que sa face cramoisie indique qu’il est ivre. Le président l’admoneste pour son retard et le prie de faire sa déposition.
Marié bredouille, s’exprime en argot, entremêle ses accusations contre moi avec des apostrophes contre Raoul Rigault et, plus il est pressé par le président d’être clair, plus il devient diffus, pitoyable. Afin de calmer l’impatience du président, le commissaire du gouvernement s’écrie :
— L’émotion trouble le témoin !
— Oui, ajoute un commandant d’artillerie, siégeant à gauche du président, une émotion de comptoir !…
C’est le coup de massue, et l’ivrogne Marié se retire en titubant.
La parole est à Me Demange, qui tient absolument à prendre ma défense, malgré que je l’aie prié de se borner à défendre mon frère.
Il dit aux juges militaires qu’il est loin de partager l’opinion des deux prévenus ; que la République n’est pas le gouvernement de son choix. Ce qui provoqua de ma part cette protestation, que Me Demange n’avait pas la mission de me défendre ni de faire de telles déclarations.
On m’invita à me taire, et Me Demange continua en
