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des barricades au bagne

pédia à la prison de la Grande Roquette, servant de dépôt, en attendant le départ, des condamnés vers le bagne ou les maisons centrales.

Avant que l’on me mît les menottes, M. Boucher vint me réconforter. Comme je le remerciais, il me dit qu’il ne faisait que son devoir.

— Croyez, me dit-il, que ce que j’ai fait pour vous, je l’ai fait pour tous vos malheureux camarades, condamnés à mort ou au bagne. Ces temps sont terribles, mais il faut que tous les vaincus montrent du courage. Serrez-moi la main, Allemane, et n’oubliez pas que vous avez une mère qui vous adore. Vivez pour elle !

Les employés du ministère de l’Intérieur me mirent les menottes et je montai dans la voiture cellulaire. Je n’eus, pendant le trajet, qu’à me louer de ces hommes. Au moment où nous traversions le carrefour Buci, ils firent stationner la voiture devant un café et me dirent de descendre : ils voulurent que je prisse « quelque chose » avec eux avant d’entrer à la Roquette, où nous arrivâmes dans la soirée.

Dès que j’en eus fini avec le greffe de la prison, on me fit passer dans une salle où je dus revêtir les effets destinés aux condamnés ; puis, on me rasa la barbe et coupa les cheveux. Ne sachant combien de jours je passerais en cette prison, je demandais à voir et à embrasser ma mère une dernière fois. Le directeur me fit appeler et me dit que je pourrais peut-être la voir le lendemain, si l’ordre de mon départ ne lui était pas parvenu. J’écrivis immédiatement et, vers trois heures de l’après-midi, le lendemain, on m’appelait au parloir.

A travers un double grillage, je pus apercevoir le visage amaigri et pâle de ma pauvre et aimée mère ; elle était en larmes. J’essayai de la consoler, de lui faire accroire que la séparation serait de courte durée. Rien n’y fit. Sa douleur était incommensurable ; elle avait le pressentiment qu’elle ne me reverrait plus. Lorsque le geôlier me vint reprendre, elle me cria : « Adieu ! adieu ! mon Jean ! » et j’entendis comme un sanglot déchirant. Mon cœur déborda et je me mis à pleurer comme un enfant.

En attendant que la mort eût accompli son œuvre, la haine, pus implacable encore, se chargeait de me ravir