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mémoires d’un communard

nombreuses ; puis, la voix du chef de convoi leur impose silence. Quelques minutes encore, puis le train s’ébranle : misérable forçat, en roule pour Toulon !

La nuit me parut d’une longueur démesurée ; enfin le jour luit et, lorsque j’entendis les pas de mes gardiens, je frappai de mes poings contre une des parois de la case ; le guichet s’ouvrit et le chef de convoi me demanda ce que je voulais.

— Etre un instant délivré de mes menottes…

Il comprit, entra dans ma case et m’enleva les menottes. Il revint un quart d’heure après et me dit que, malgré les ordres reçus, la responsabilité qui pesait sur lui, il allait me laisser ainsi.

— Vous m’êtes recommandé d’une façon toute spéciale, et je ne dois vous enlever les menottes qu’au moment des repas ; mais je compte que vous serez raisonnable et, surtout, que vous ne répondrez pas aux femmes si, malgré ma défense, elles venaient à vous adresser la parole.

Je le laissai dialoguer sans répondre.

Une à une les femmes s’agitèrent, s’interpellèrent, et leur babil n’eut plus de fin. Inutilement, les gardiens essayèrent d’y mettre un terme.

Le train s’arrête et, un instant après, on distribue les vivres, composés de pain et de fromage. Le repas à peine terminé, les conversations reprennent de plus belle, et c’est moi qui en fais les frais. Cette case, où un homme se trouve enfermé, excite la curiosité des femmes, et les questions assaillent le chef de convoi :

— Dites, monsieur le gardien, qui est-ce, celui qui occupe cette case ? À quoi est-il condamné ?

— Il est condamné aux travaux forcés, n’est-ce pas ?

— À vie ou à temps ?

— Qu’a-t-il fait ?

— Est-il jeune ou vieux ?

— Peut-on le voir, dites ?

Elles étaient dix à poser des questions, et le chef et son collègue de répondre :

— Fichez-nous la paix ! nous n’avons pas à vous donner d’explications.

Mais cela ne les pouvait satisfaire, et elles recommencèrent leurs questions tant et tant de fois que, la lassi-