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des barricades au bagne

tude aidant, les gardiens finirent par se rendre ; mais, lorsque, leur curiosité satisfaite, les femmes apprirent que j’étais un condamné de la Commune, que j’allais au bagne à perpétuité et que je n’avais que vingt-sept ans, ce fut bien autre chose :

— Ah ! le pauvre jeune homme !… Et il a les entraves aux pieds, les menottes aux poignets ?…

— Mais c’est terrible ! ce n’est pourtant pas un assassin !

— Oh ! dites, messieurs les gardiens, vous allez au moins lui enlever les menottes, n’est-ce pas ?

— Il sera bien assez malheureux, le pauvre garçon !…

Combien, devant ces appels à la pitié, les gardiens regrettaient d’avoir été indiscrets ; d’autant que les supplications ne cessèrent que lorsque le chef de convoi eut consenti à ouvrir le guichet de ma case et affirmé aux femmes qu’il m’avait enlevé les menotes depuis le matin.

J’étais ému de la leçon d’humanité donnée par de pauvres créatures que la société rejette comme indignes, car ces femmes pitoyables c’étaient des prostituées, des voleuses que l’Administration pénitentiaire expédiait en Nouvelle-Calédonie.

Elles devaient s’embarquer sur la frégate la Virginie et devenir les épouses de condamnés ayant obtenu la concession d’un lopin de terre en une des colonies agricoles établies à Bourail ou à Ourail. Là, les « bonnes sœurs » ou les Pères Maristes sont chargés d’accoupler les forçats, ayant mérité la sollicitude de l’Administration, avec les malheureuses expédiées par la métropole. Ils sont les agents matrimoniaux accrédités par le gouvernement de la République, comme les heureux possesseurs des meilleures terres de la colonie.

Quelle qu’eût été leur chute, combien ces femmes étaient supérieures à celles qui, du bout de leur ombrelle, s’ingéniaient à crever les yeux des cadavres étendus dans les rues de Paris, frappaient ou insultaient les vaincus ou venaient se repaître, en compagnie de soudards, du spectacle de misère que leur offraient les prisonniers enfermés à la Fosse-aux-Lions, aux Chantiers ou à Satory.