Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
mémoires d’un communard

Le bourreau est livide.

Six ! s’écrie Latreille, et cette bête fauve se retire satisfaite, souriante, suivie des adjudants et des gardes-chiourme.

Je demeurais comme prostré, pendant que les aides du bourreau emportaient le patient, lequel paraissait ne donner plus signe de vie, et je me demandais si la mort n’était pas préférable à cet ignominieux supplice.

Autour de moi s’élevait, tel un sourd bourdonnement, le bruit des voix des condamnés. Peu à peu, me dégageant de mes sombres réflexions, je pus percevoir quelques bribes des conversations engagées :

— Tu as vu comme Guérino était pâle ? disait un voisin.

— Oui, et sans le gros Latreille, il aurait ménagé Bébé…

— Sans doute, mais il faut qu’il ouvre l’œil !…

— Oh ! oui, car le gros ne le « marronnerait » pas.

— C’est égal, c’est un peu dur, pour une cibige (cigarette)[1].

Acrai ! s’écrie quelqu’un, voilà le gaffe (attention ! voilà le garde).

Le silence se fit, et je vis apparaître un rondier.

Telle fut cette première scène de bastonnade qui se déroula sous mes yeux, mais de combien d’autres cruautés ne devais-je pas être témoin !

Le troisième jour de mon arrivée, on me fit monter à la salle 5, où j’eus le triste plaisir d’y rencontrer plusieurs condamnés de la Commune.

— Peu familiarisé encore avec l’ambiance, j’entendais, avec peine, la plupart des nôtres causer, rire, échanger de grossiers propos avec les condamnés de droit commun qui, étant données les mœurs du milieu, étaient loin de me complaire. Quelques observations amicales faites par moi avaient eu pour résultat l’échange de paroles plutôt aigres. Je pris alors le parti de me tenir à l’écart.

Un matin, comme je procédais à une toilette sommaire,

  1. Tout condamné trouvé en possession de papier et de tabac recevra six coups de corde : s’il s’y trouve des allumettes, douze coups. (Règlement).