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des barricades au bagne

je sentis que des lèvres effleuraient mon épaule droite ; je me retournai vivement et me trouvai face à face avec un individu qui s’égaudissait. Je le saisis à la gorge et lui appliquai sur le visage une vigoureuse taloche. Des camarades vinrent me l’arracher d’entre les mains, en me faisant observer que j’avais eu grand tort de me fâcher et de risquer une punition pour si peu de chose !…

La promiscuité, on le voit, avait déjà commencé son œuvre malsaine parmi des hommes n’ayant pourtant pas perdu tout respect d’eux-mêmes.

Ah ! les soudards que l’Eglise avait élevé sur ses genoux, et qu’un peuple dépourvu de bon sens et d’intelligente énergie avait laissés à leurs sinécures dorées, savaient parfaitement ce qu’ils faisaient en envoyant dans cet attristant milieu des hommes, jeunes pour la plupart, et sans grande expérience.

La salle 5 renferme, comme celle du rez-de-chaussée, trois cents condamnés. Un vaste lit de camp en occupe le milieu. Les portes sont doubles et les fenêtres complètement grillées. On en a proscrit toute hygiène, aussi, la vermine y grouille-t-elle, durant que de pestilentielles odeurs se dégagent des baquets à déjections. Les bains y sont à peu près inconnus, et, si le condamné veut nettoyer son corps, il le doit faire avec l’eau dont il dispose et dans la salle même. Au reste, accouplé, il lui est matériellement impossible d’obtenir un bain de propreté ; seuls les malades de l’hôpital peuvent, le major y consentant, s’offrir le luxe d’une baignoire.

Or, la malpropreté et le raffinement exagéré ont les mêmes conséquences et fournissent une nouvelle preuve du rapprochement des extrêmes : ils sont tous deux des agents de dégradation.

Malgré la corde qui les guette — car, parfois, l’Administration change de tactique et se donne des airs de pudeur — de nombreux condamnés s’abandonnent à leurs passions bestiales. La crainte du châtiment les rend souples, presque rampants, devant les « rondiers » qui connaissent leur vice.

D’ordinaire, l’Administration, les gardes-chiourme et les forçats-écrivains trouvent leur compte à cet état