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mémoires d’un communard

Un poste, placé sous les ordres d’un sergent, en commandait l’entrée, défendue par une double grille.

Tel était le lieu où je dus vivre du 21 juin 1872 au 27 janvier 1873, date de mon embarquement à bord du transport-mixte le Rhin.

Afin qu’on pût procéder au balayage et à l’enlèvement des déjections, l’Administration avait ordonné deux promenades quotidiennes, dites en « queue de cervelas ». Ces promenades avaient une durée de trois quarts d’heure et s’effectuaient en face de la Casemate, dans une longue allée qui, des premiers bâtiments du bagne, allait se terminera la grille du bazar d’où, parfois, certains visiteurs venaient « voir défiler les forçats de la Commune ».

C’était là un spectacle recherché, et les amateurs étaient assez nombreux. De belles madames et des gentlemen fort distingués nous honoraient de leur visite. Les prêtres et les officiers raffolaient de la vue des vaincus domptés et enchaînés ; aussi, peu de jours s’écoulaient sans que nous n’eussions la satisfaction ( ?) d’en voir s’éjouir très chevaleresquement à nos dépens.

Il advint un jour que cinq ou six officiers obtinrent de se faire ouvrir la grille et s’arrêtèrent devant nous en une attitude insolente. Leurs quolibets nous indignaient, mais chacun faisait effort pour demeurer calme.

Ces hommes, armés et libres, venant provoquer, en se moquant, des vaincus placés dans des conditions aussi épouvantables, dépeignent l’état d’esprit des militaires professionnels et expliquent les jugements des conseils de guerre, l’envoi à la mort ou au bagne de leurs adversaires désarmés.

Ces insulleurs appartenaient à un régiment qui, aux jours de décembre 1870, se débanda et joua des jambes devant l’ennemi. Fatigué de leurs railleries plus que déplacées, je dis, assez haut pour être entendu de ces tristes personnages, comme nous matriculés, et portant le numéro d’une unité régimentaire me rappelant une fuite éperdue aux alentours du plateau d’Avron :

— Oui, cela se passait, m’écriai-je, lors de la première attaque du plateau d’Avron ; jamais régiment ne se montra plus affolé ; dans leur épouvante, les hommes