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mémoires d’un communard

manda de m’observer avec la plus grande attention, de ne perdre ni un mot ni un geste qui pussent leur faire découvrir ma culpabilité.

Ma défiance, déjà éveillée contre ces deux misérables, ne fit que s’augmenter, et je réglai mon attitude en conséquence, recommandant à Berthier la plus grande prudence. Bien m’en prit.

Le troisième jour après la publication du second article, je vis, au cours de notre quotidienne promenade, l’aumônier passer devant nous, et ses yeux, où une haine féroce se lisait, se fixèrent sur moi. Je compris que l’on m’avait désigné à son attention, mais n’en laissai rien paraître. Il disparut sous la porte qui menait chez le commissaire du bagne, au moment où nous réintégrions la Casemate.

À peine étais-je dans la salle que l’adjudant Monnin apparut à la grille d’entrée et dit au chef de poste de faire sortir le 24.328.

— 24.328 ! appela le sergent.

— Présent ! répondis-je.

— Sortez, me dit le chef de poste, et il referma la grille.

L’adjudant, les dents serrées, m’attendait.

— Suivez-moi chez le commissaire, me dit-il.

Nous montâmes au premier : arrivés devant la porte du bureau, Monnin se retourna brusquement et plongea sur moi ses regards scrutateurs ; mais j’étais prêt pour la lutte. Non seulement je soutins tranquillement l’éclat de ses yeux mauvais, mais je le fixai, à moitié souriant, comme un homme auquel on va annoncer une bonne nouvelle. Déçu, mais espérant assouvir quand même la haine qu’il me vouait, il entrouvrit la porte du cabinet et me dit très durement :

— Entrez !

Je pénétrai dans le bureau et me trouvai face a face avec le chef Latreille, qui se tenait debout près du fauteuil où le commissaire était assis. Tous deux paraissaient furieux, et ils me dévisagèrent comme s’ils voulaient lire au plus profond de ma pensée.

— Avancez ! commanda le commissaire.

Je m’avançai, très calme, comme étonné d’être appelé auprès de lui. Il s’agissait d’échapper à ces fauves