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des barricades au bagne

administratifs, maîtres absolus de ma personne, pouvant me torturer, me livrer à Guérino, et je devais pour cela louer serré.

— Votre nom ? me demanda Garot, le commissaire.

— Allemane.

— Votre ancienne profession ?

— Typographe.

— Typographe ?… Je vous croyais journaliste.

— Non, Monsieur ; j’étais simplement typographe.

— Et moi je vous dis que vous avez écrit dans les journaux !

— Je le regrette, Monsieur, mais-vous faites erreur. J’ai travaillé, comme compositeur, dans plusieurs journaux et voilà la vérité.

— Et écrit aussi, n’est-ce pas ?

Souriant, je renouvelai mes dénégations quand, brusquement, Latreille, me saisissant le bras droit, me lance cette interruption ;

— Comme avant-hier, au Progrès du Var ! … hein ?

Je le regardai comme on regarde un halluciné ; puis mes regards se portèrent, interrogateurs, sur Garot et Monnin ; ces regards semblaient leur dire : « Est-ce que Latreille n’est pas devenu fou ? » Puis, je répondis :

— Le Progrès du Var ? … connais pas.

— Et l’histoire de M. l’aumônier ? demanda Garot.

— Oh ! cela, monsieur le commissaire, je peux le raconter, et ce ne sera pas à l’avantage de M. l’aumônier…

— Inutile ! dit-il avec colère. Je vais voir quelles mesures il convient de prendre à votre égard, comme à l’égard de quelques-uns des forçats qui sont avec vous à la Casemate, car il ne sera pas dit que, sous ma direction, le bagne deviendra un panier percé…

« Vous entendez, 24, 328 ! la corde n’est pas faite pour les chiens.

« Monsieur Monnin, ramenez-le à la Casemate. »

Avais-je gagné la partie ?… Garot, Latreille, Monnin et l’aumônier en étaient-ils pour leur tentative avortée ? Quoi qu’il en fût, tout me commandait de me tenir sur mes gardes, d’autant que si le moindre doute eût existé dans mon esprit, la figure de fouine renfrognée du sieur Monnin l’eût vite dissipé. Cette vermine cléricale ne désespérait pas de me voir appliquer la corde.