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mémoires d’un communard

nés tous les cinquante dans la même cage et de nous pouvoir garder des mille avanies inhérentes à une fâcheuse promiscuité.

Notre cage renferme cent vingt condamnés, répartis en douze plats, et le Rhin compte quatre cages semblables. Elles sont fermées par de gros barreaux de fer et ont l’aspect de ménageries, dont les forçats sont les animaux féroces. Au haut bout de chacune se montre la gueule d’un canon, tout prêt à vomir la mort dans nos rangs.

C’est un avant-goût de la colonisation dont s’entêtent à rêvasser la plupart de nos trop confiants camarades ; plus tard, ces naïves espérances étant connues des surveillants, ces derniers prendront plaisir à les entretenir et berneront de racontars, plus mirifiques les uns que les autres, ces bons gogos de communards, qu’on se réserve de soigner d’importance aussitôt débarqués dans le paradis néo-calédonien.

Parmi les plus emballés se trouvait un brave garçon, le citoyen Chantereau, ouvrier charpentier et professeur de trait. Durant toute la traversée il construira, sinon des châteaux espagnols, mais d’admirables maisons rustiques, tout un ensemble de bâtiments constituant des fermes-modèle. C’était plaisir à l’entendre narrer ses projets d’avenir avec une conviction qui dilatait la rate des surveillants. Tout effort pour le dissuader était inutile, et, après tout, cela lui permettait de trouver l’existence moins sombre. Cependant, le réveil n’en sera pour lui que plus pénible : à l’arrivée au pénitencier de l’Ile Nou le chef des correcteurs lui arrachera violemment ses dessins, les lui déchirera, à la grande joie des mêmes surveillants militaires qui, à bord, l’encouragent à dresser les plans de sa future installation champêtre et familiale.

Quelques mois après notre arrivée à l’Ile Nou, en travaillant de son métier, le pauvre désillusionné se blessait à la jambe droite d’un terrible coup de hache et, après de longues souffrances, mourait à l’hôpital des condamnés, dit du Marais, laissant une femme et trois enfants, que le brave Chantereau, en ses tenaces illusions, parlait de faire venir en Nouvelle-Calédonie pour, ensemble, faire fructifier la concession agricole qu’il