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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/241

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mémoires d’un communard

sement, je l’avais connu comme on connaît ces tristes jeunes gens qui traînent dans les rues, menant une existence paresseuse et quelque peu louche.

Pendant la Commune, Fournier avait « marché » contre ses compatriotes et avait gagné, combattant et fusillant, à la caserne Lobau, son deuxième grade inférieur ; puis, voulant éviter les rencontres fâcheuses, il avait fui Paris et la France. Le « jeune homme » de la place Haubert s’était fait surveillant-militaire. Il me reconnut dès mon arrivée à bord et, sachant que je n’ignorais pas son passé, il n’eut plus qu’un désir : me faire sentir son autorité.

Fournier était roux et appartenait à la catégorie des « tout mauvais ». Cependant, malgré ses bonnes dispositions à mon égard, il devra attendre notre débarquement pour exercer ses mauvais instincts, car, à bord, fort heureusement pour les transportés en général et pour moi en particulier, les surveillants-militaires seront vite maîtrisés : un honnête homme, le capitaine d’armes, veillera à ce que ces individus ne puissent commettre les vilenies dont ils sont coutumiers partout où on leur accorde la moindre autorité.

Tel n’est pas le cas sur le Rhin. A la première incartade, on leur applique le règlement et, si les forçats délinquants connaissent parfois le fond de cale et la barre, messieurs les surveillants trouvent aussi à qui parler. Leur haine et leur désir de vengeance iront s’augmentant contre nous, car ils s’aperçoivent que le capitaine d’armes, si sévère à leur égard, nous témoigne quelque intérêt.

À cette attitude du capitaine il y avait une explication.

Enfermé dans Paris pendant la guerre, le capitaine d’armes, alors en congé de convalescence, avait coopère à l’organisation des bataillons de marche de la garde nationale et avait combattu dans leurs rangs. Il connaissait les motifs de l’insurrection du 18 mars, comme les crimes des gouvernants ; il était, en outre, républicain sincère et détestait l’hypocrisie. Sous l’écorce rude du loup de mer, il y avait un cœur et une intelligence vive.

En ce bagne flottant, divisé en quatre ménageries que peuplent des êtres humains, il y eut cependant des instants où la tristesse fit trêve.