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des barricades au bagne

Parmi les passagers militaires, auxquels on imposait les fonctions des surveillants, se trouvait un gendarme du nom de Boysset. Il venait de la Guyane et se rendait en Nouvelle-Calédonie. Boysset fera la joie de l’équipage, des passagers libres et, malgré que cela soit irrévérencieux au possible, également la joie des forçats, car jamais porte-bicorne ne le dépassa en drôlerie.

Tout, en Boysset, prêtait à rire et, cependant, ce gendarme était loin d’être un sot. Il cultivait à la fois la plaisanterie à froid et les tirades emphatiques. Pour lui, gendarmerie et magistrature étaient une seule et même chose. Il avait une très haute idée de son titre de gendarme et se trouvait très froissé du peu de cas que le commandant du bord faisait de sa personne. Au fond, c’était un homme gai et pas méchant pour un sou ; mais, voilà, il était gendarme et magistrat !

En ses moments de bonne humeur, il daignait condescendre jusqu’à s’entretenir avec nous, et nous tenait des discours en ce genre :

— Voyons, messieurs les Communards, pourquoi avez-vous fusillé quelques-uns de mes collègues ? N’eût-il pas été plus intelligent de les expédier tout simplement à la Guyane ? Vous auriez, ainsi faisant, obtenu le même résultat… Sur trois cents gendarmes venus en ce pays avec moi, il n’en restait, lors de mon départ, que quinze de vivants !…

Et Boysset s’en allait, satisfait de nous en avoir conté une bien bonne.

Sa qualité de magistrat l’obligeait à considérer les surveillants comme ces hommes beaucoup au-dessous de lui.

— Ces gens sont d’une ignorance crasse, disait Boysset ; hier encore je leur poussais cette « colle » : « Messieurs, pourriez-vous m’indiquer le nom du créateur de la gendarmerie ? » Et ils demeurèrent cois.

« Voyant leur embarras, j’en eus pitié, et leur dis : « Messieurs les surveillants-militaires, le créateur de la gendarmerie s’appelait Romulus ! » (sic).

Les dits surveillants, s’ils ne sont pas morts, doivent encore en bâiller.

Certain jour, il s’approcha de moi et me tint ce langage :