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mémoires d’un communard

— Tout fait prévoir que vous mourrez au bagne. Condamné à perpétuité et recommandé comme vous l’êtes, vous ne pouvez espérer aucune grâce ; cependant, il est une chose qui vous doit consoler : on écrira sûrement plus tard l’histoire des martyrs de la Commune, et votre nom s’y trouvera !

Il était, en ce genre, inimitable. Parfois — était-ce l’inconstant Océan qui nous valait ces changements d’humeur ? — notre Boysset devenait morose ; le pandore se révélait.

Ce fut ainsi qu’un dimanche, étant de service devant notre cage au moment où l’aumônier officiait, il fut désagréablement surpris de nous voir demeurer debout pendant l’élévation, au lieu de nous agenouiller, ainsi que nous y conviait le clairon sonnant au champ en l’honneur du « saint sacrifice ».

Cette attitude scandalisa Boysset ; entrant en fureur, il nous demanda ce que le « bon Dieu » nous avait fait, si c’était lui qui nous avait expédiés au bagne ?… Et, s’animant, il nous crie :

— A genoux ! ou sinon…

Puis, comme malgré ses menaces nous demeurions debout, il jeta un regard sur ses vêtements et s’aperçut — ô puissance du règlement ! — que, malgré l’office et le saint jour du dimanche, il était en petite tenue, c’est-à-dire répréhensible. Un peu confus, il dit alors :

— Je vois pourquoi vous refusez d’obéir : j’enfreins moi-même le règlement, n’ayant pas revêtu la tenue qu’il prescrit, mais je vous avise que, dimanche prochain, je saurai prendre mes précautions.

Et il en fut ainsi qu’il l’avait annoncé.

Dès le matin du dimanche qui suivit, Boysset avait revêtu sa tenue réglementaire et, aussi raide que la loi, le gendarme-magistrat roulait des yeux terribles. Ça paraissait vouloir tourner en tempête. A grands pas il allait, du haut en bas de la cage, les bras ballants et son sabre lui battant les jambes, pour revenir se camper devant nous en des poses comico-héroïques. Sa mimique hilarante semblait nous dire :

« Moi, Boysset, gendarme-magistrat, je suis présentement en règle : voyez ma tenue ! Si, à mon premier commandement : A genoux ! vous n’obéissez pas, vous