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mémoires d’un communard

Le Breton dont il s’agit avait gagné ses galons de quartier-maître en fusillant des Parisiens, et la brute s’en vantait. En sa pauvre cervelle, où le fanatisme le disputait à la haine contre les hommes de la Commune, surgit cette pensée généreuse : faire crever de soif ces crapules de communards !

N’avaient-ils pas tué l’archevêque de Paris, blasphémé le saint nom de Dieu, insulté la religion ! On n’en avait pas assez massacré, puisqu’il y en avait encore à bord. Et le bon catholique omit d’alimenter le foudre !

Vainement, les condamnés s’acharnaient au suçoir ; quelques-uns, atteints de scorbut, y collaient leurs lèvres, énormes et violacées, mais rien ne venait, et la fièvre de la soif gagnait la cage, qui s’affolait de plus en plus. A grands cris on réclamait contre l’inqualifiable mesure, mais les sentinelles demeuraient muettes ; ni surveillants militaires ni quartier-maître ne se montraient.

Peu à peu cela prit un caractère menaçant, les colères s’exaspéraient ; on songeait à arracher les barreaux, à se saisir des sentinelles et à vendre chèrement sa vie…

Tout à coup surgit une troupe de matelots, pistolet ou hache au poing ; à leur tête se trouve le capitaine d’armes, et le panneau, masquant le canon qui menace la cage, s’ouvre et la bouche à feu apparaît : on se dispose à nous massacrer !

La gorge en feu, les yeux injectés de sang, je m’apprête à me ruer sur une sentinelle qui, imprudemment, se tient assez près des barreaux pour que je puisse l’atteindre. L’instant est décisif ; mais nous avons affaire à un honnête homme, qui n’entend pas tuer pour le seul plaisir de verser le sang. Ne comprenant rien à une telle effervescence, il arrête ses marins et, venant droit à moi, me demande la raison d’une telle surexcitation.

— Mais, capitaine, nous mourons de soif !…

— Comment ! vous mourez de soif ?

— Oui, capitaine ; le foudre est complètement vide, et cela depuis hier !

— Depuis hier !… ce n’est pas possible…

— Rendez-vous-en compte en le décapant.

Le capitaine se retourne et ordonne à un second-maître d’aller chercher le quartier-maître chargé de la distribution de l’eau ; puis, s’adressant aux condamnés,