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des barricades au bagne

C’est là un accueil plein de douces promesses.

Le bourreau Petit, ses aides les correcteurs, dont un nègre aux proportions herculéennes ; une trentaine de surveillants militaires, plus grossiers et plus brutaux les uns que les autres, nous commandent de vider nos sacs et nos poches. Ceci fait, les divers objets nous appartenant sont foulés aux pieds, jetés au loin, pendant qu’on nous tarabuste violemment.

On cogne à tort et à travers ; on jette a la mer les lettres, les photographies, les petits riens que les malheureux exilés ont gardés si précieusement, en souvenir de ceux qui les ont aimés, qui les aiment encore, et sont demeurés là bas, tout au bout du monde.

Les épithètes infâmes se croisent ; le correcteur nègre est inlassable ; il frappe d’une main pendant que, de l’autre, il s’empare de tout ce que ses yeux de fauve découvrent. Enfin, fatigués, nos bourreaux nous parquent sur une espèce de plateau, sur lequel quelques tentes sont dressées à notre intention.

Rien ne saurait peindre la consternation qui se lit sur tous les visages. Où sont les illusions de la veille, les rêves colonisateurs ? L’ile Nou est un second enfer d’où doit être bannie toute espérance.

La nuit vint et, avec elle, un orage terrible. Renversées, entraînées, les tentes ne protègent plus personne, et c’est complètement transis, mouillés jusqu’aux os, que nous voyons venir le jour. Les éléments semblent s’être mis d’accord avec nos bourreaux pour ajouter à l’horreur de notre débarquement en ce pays maudit.

Durant que la tempête faisait rage, se préparait un spectacle qui devait porter au comble le désespoir de nos pauvres optimistes.

Il est dix heures ; un soleil de plomb boit goulûment les flaques d’eau essaimées de-ci de-là par la trombe de la nuit. Un roulement de tambour se fait entendre : c’est le rappel des condamnés.

Des grands hangars placés en face de nous des forçats sortent en hâte. Nous recevons l’ordre de nous placer par quatre pendant que de deux côtés à la fois débouchent des corvées, plus ou moins nombreuses.

Un bruit de fers qui se heurtent attire notre attention et, bientôt, sous les yeux ébahis de la plupart de mes