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Page:Allemane - Mémoires d’un communard.djvu/257

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mémoires d’un communard

trop crédules compagnons se déroulent des théories de forçats enchaînés…

— Autant valait-il rester à Toulon ! se disent en leur for intérieur mes malheureux camarades, cette fois complètement désillusionnés.

— Voilà ce qui vous attend, tas de crapules ! hurle à nos oreilles un surveillant militaire, à moitié ivre, en nous montrant les condamnés qui passent.

— Ce sont les « joyeux de la quatrième classe », ajoute un second ; avis aux amateurs !

Le prétendu paradis calédonien s’était évaporé, et les misérables que la vindicte publique — si noblement représentée par les juges civils ou militaires— avait jetés aux gémonies de l’île Nou, y retrouvaient toutes les épouvantes illustrant le bagne de la métropole.

Mais voici qu’à notre droite éclate une sonnerie de clairons : ce sont des soldats d’infanterie de marine prenant la même direction que les forçats qui les ont précédés. Plus de doute : quelque drame se prépare.

Brusquement retentit ce commandement :

— Condamnés, en route !

La colonne des nouveaux débarqués s’ébranle et s’avance vers les cases qui bordent le boulevard de la Guillotine ou du Crime[1].

Nous voici parvenus devant les cases de la quatrième classe, où se trouvent enfermés les neuf cents forçats appartenant aux diverses catégories de condamnés composant le peloton dit « de correction ».

— Halte ! crie un des surveillants-chefs. La colonne s’arrête, puis l’ordre lui est donné de se placer sur deux rangs et de faire face au boulevard. A notre gauche se voient des surveillants en armes et, à droite, des soldats d’infanterie de marine. En face, viennent se ranger les condamnés du Pénitencier-Dépôt appartenant aux trois premières classes. Un silence de mort règne sur cette foule, dont toute l’attention se concentre vers le côté du rectangle où se trouvent les prisons.

  1. C’est sur ce boulevard que se font les exécutions capitales et que le « martinet » fonctionne pendant que la guillotine fait relâche. Avec les prisons, situées plus haut, c’est le lieu qu’on se hâte de vous faire connaître dès votre arrivée au Pénitencier-Dépôt.