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des barricades au bagne

Et le tigre à face humaine, qui, calme, presque souriant, ordonne les coups de martinet, continue à frapper la terre du pied, pendant que le correcteur s’acharne sur sa victime. Cela me paraît durer un siècle.

Vingt-cinq ! finit par dire l’homme aux deux galons.

On détache le malheureux qui titube comme un homme ivre. On abaisse sa chemise, qui lui couvre la tête, et nous apercevons sa face convulsée. Ce visage n’a rien d’humain : la souffrance, peut-être aussi la honte, l’ont comme ravagé.

— Faites avancer le second ! commande l’ordonnateur des supplices.

Et l’opération monstrueuse recommence.

Un ! deux ! trois ! quatre ! cinq !

Le pied du surveillant continue à frapper le sol, pendant que le martinet tourbillonne et s’abat sur la victime, ce pendant que le sang du second patient se mêle au sang du premier et que ses hurlements déchirent nos oreilles et nous compriment le cœur à étouffer.

A chaque instant, un des nôtres s’évanouit et roule à terre ; nous le devons relever et tenir debout, le visage tourné vers le banc de torture. Ainsi le prescrit le règlement de notre nouveau bagne.

— Au troisième ! crie le surveillant, qui paraît éprouver une sorte d’ivresse sadique à voir couler le sang et se tordre les victimes.

On s’empare de l’homme, on le couche, le ligote et le frappe comme les deux précédents. Les mêmes cris horribles se font entendre, les mêmes monstruosités se renouvellent.

— Au quatrième !…

— Au cinquième !…

C’est le triomphe des bêtes féroces, égarées dans l’humanité, qui se déroule devant nos yeux épouvantés.

Le nègre, comme a regret, doit céder le martinet à un de ses collègues : le surveillant craignant que la lassitude ne l’empêche de frapper avec la vigueur qui convient.

La cinquième victime, allongée et attachée, les coups pleuvent à nouveau. Les hommes qui s’évanouissent d’horreur sont si nombreux que, bon gré mal gré, on les 14