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mémoires d’un communard

doit coucher dans les rangs. Nous sommes tous héhétés, mais les cris des suppliciés n’en retentissent pas moins douloureusement à nos oreilles, ainsi que la voix du surveillant ordonnant et comptant les coups de martinet. En un moment, on entend des murmures venant de notre côté : l’épreuve devient trop forte, et le peu d’humanité qui demeure en nous se révolte.

— Silence, canailles ! ou nous vous canardons ! hurlent les chiourmes, pendant que les soldats apprêtent leurs armes.

Un frémissement agite les condamnés demeurés debout, mais nul ne fait un mouvement, chacun comprenant l’inutilité de la protestation.

— Amenez le sixième !

Et le martinet poursuit implacablement son œuvre, durant que le malheureux patient pousse des cris qui n’ont rien d’humain.

— Au septième et dernier ! dit le bandit qui préside à cette interminable exécution.

Les correcteurs procèdent aux apprêts du supplicié, et le martinet laboure la peau et la chair de la septième victime, dont les cris n’ont bientôt plus rien d’humain. Cela ressemble à des beuglements et j’ai comme la vision de l’égorgement d’un être quelconque.

Je suis comme anéanti ; malgré que je n’aie plus à soutenir Quetin, couché et évanoui près de moi, je ne sais comment je peux me tenir encore debout ; j’ai devant les yeux comme un voile sanglant : l’horreur ressentie a brisé en moi tout ressort, et je n’ai plus conscience du temps qui s’est écoulé depuis notre départ du plateau. Il me semble qu’il y a des heures que je suis là, et que j’y dois demeurer indéfiniment. La voix du surveillant dissipe cette mortelle torpeur.

Vingt-cinq !

La besogne sanglante, ignoble, est terminée ; l’homme aux deux galons et les forçais fouetteurs s’en vont, contents du devoir accompli au nom de la société honnête et de la civilisation triomphante.

Vaguement, je distingue le dernier « bastonné » entre les mains des correcteurs qui le soutiennent. La longue attente, la vue des premiers martyrisés et ses propres souffrances l’ont complètement abattu ; sa pâleur est