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des barricades au bagne

Je m’arrête et le fixe. Il paraît hésiter entre une nouvelle injure ou une voie de fait ; puis, tout à coup :

— Contremaître ! crie-t-il à un des condamnés qui dirigent notre travail, enlevez-lui la pioche et envoyer le plus loin transporter des pierres.

Je suivis le contremaître sans desserrer les dents, me demandant ce qui vaudrait mieux : ou d’en finir de suite, en me ruant sur un de ces ignobles personnages et de me faire tuer, ou d’attendre l’occasion de jouer ma vie en tentant de reconquérir ma liberté.

J’avais déjà subi tant d’avanies et supporté tant d’épreuves que, tout naturellement, j’optai pour ce dernier moyen. Et puis, à quoi pouvait servir la disparition d’une de ces bêtes malfaisantes ? Pour un chiourme, passé de vie à trépas, dix autres individus de même acabit se disputeront son remplacement, et il n’y aura rien de changé dans l’enfer calédonien.

Notre travail de défrichement dura deux jours, pendant lesquels de nombreux condamnés partirent pour les camps situés dans la grand’terre ou la presqu’île de Nouméa. On nous fît enfin quitter le plateau et rentrer dans les cases, où des vides s’étaient produits.

Ces cases ont vingt mètres de long sur six de large. En toute leur longueur, deux fortes traverses en bois les divisent en trois largeurs égales : deux mètres au milieu et deux mètres entre les murs et les traverses qui, avec les poutres fixées contre les parois, servent aux condamnés pour suspendre leur hamac.

L’effectif de chaque case se compose de quatre-vingts hommes, dont chacun dispose de cinquante centimètres en largeur et de deux mètres en longueur.

Le jour, le hamac est roulé sur la barre ou poutre fixée contre le mur. Dans le hamac se trouve une couverture, qui complète la literie du condamné. Plus haut, est fixée une planche sur laquelle le forçat place son sac ; ce sac contient une chemise de rechange, un pantalon et une vareuse. C’est là tout le bagage réglementaire du transporté.

Rien ne se doit laisser sur le sol bétonné de la case, hormis les baquets à déjections. Il n’existe ni bancs, ni sièges : le forçat s’asseoit à même le sol.

Les cases n’ont pas d’étage ; elles sont couvertes avec