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mémoires d’un communard

se trouvait le citoyen Berlin, ex-commissaire de la Commune au quatorzième arrondissement. Nous nous reconnûmes, car nous avions travaillé ensemble, à deux reprises différentes. Nous nous serrâmes la main, et devînmes amis.

On me désigne ma place de travail, aussitôt après que le surveillant et le contremaître (un forçat travaillant à l’imprimerie en qualité de relieur) m’eurent présenté au prote, le directeur n’étant pas encore arrivé. Me voici installé et, sans plus attendre, je me mets à la besogne, presque heureux de retrouver mes casses, d’exercer à nouveau ma profession, d’oublier, ne serait-ce que pendant quelques heures, l’abominable existence qui m’est dévolue.

Tout près de moi travaillent deux typographes civils qui, à ma grande satisfaction, me font un accueil des plus sympathiques. Mes deux « compagnons » — pour me servir du langage en honneur dans la typographie — non seulement se font un plaisir de me fournir toutes les indications nécessaires au point de vue de la besogne mais aussi celles qui doivent me servir à éviter les « rapports » du contremaître ou du prote : le civil, comme le forçai détestant les Communards et toujours prêts à leur être désagréables, sinon nuisibles.

L’un de mes voisins était un condamné libéré. Je l’avais connu à Paris, tout gamin. Sa condamnation aux travaux forcés avait été un scandale judiciaire. De sang bouillant et tète folle, il avait apostrophé le président des assises et, malgré son âge (seize ans à peine), les gardiens de la société capitaliste l’avaient gratifié de cinq ans de travaux forcés.

Je fus comme abasourdi de le retrouver à six mille lieues de Paris et en de telles conditions.

La vie nous réserve parfois des surprises déconcertantes.

Le second typographe était Australien. C’était un homme d’une quarantaine d’années, à l’aspect bienveillant. Dès qu’il sut, que j’étais un condamné de la Commune, il me tendit la main et serra la mienne avec force.

Je pus me convaincre, par la suite, que ce n’était pas là une démonstration vaine.