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des barricades au bagne

lettre d’un des évadés me parvenait, mais elle n’était pas écrite par le citoyen Jourde : c’était le citoyen Pasckal Grousset qui avait l’amabilité de nous faire connaître que les évadés de la presqu’île Ducos étaient arrivés sains et saufs à Sidney ; qu’ils prenaient l’engagement d’honneur de se souvenir de ceux qu’ils avaient laissés à la déportation et au bagne ; qu’ils feraient de leur mieux pour dénoncer les crimes des geôliers et les souffrances de leurs victimes…

Et l’épître se terminait par des encouragements et des protestations d’amicale solidarité.

La réception de cette missive, venue jusqu’à moi sans à-coup, fournit la preuve de la facilité avec laquelle le citoyen Jourde eût pu, étant en sûreté à Sydney, préparer mon évasion et me faire tenir les indications nécessaires. Il savait, d’autre part, que des effets civils, voire même un gîte provisoire, ne m’eussent pas fait défaut en attendant rembarquement sur un bateau australien.

L’ex-délégué aux finances, devenu libre, avait d’autres soucis, et il crut devoir oublier le forçat vis-à-vis duquel il s’était engagé d’honneur.

Plus tard, j’appris par mon frère qu’il s’était gardé de l’aller voir et de lui serrer la main de ma part. Je compris alors que si Jourde m’eût porté le moindre intérêt, il eût non pas seulement visité mon frère à son passage à la presqu’île Ducos, mais — la chose se pouvait faire si facilement ! — arraché ce dernier à la déportation en le rendant libre.

Mon tort, à ses yeux, était que j’étais l’homme qui le connaissait mieux et plus qu’il ne l’eût désiré, et, ni par mon frère, devenu libre, ni par lui, il ne tenait à ce que je sortisse du tombeau calédonien.

C’est ainsi que de bas calculs font commettre à un trop grand nombre de gens des actions aussi maladroites que peu recommandables.

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