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mémoires d’un communard

peu après mon arrivée, m’avait interpellé. Il s’appelle Boyon, et au courant de ce récit, j’en conterai l’histoire, car elle comporte quelques enseignements utiles et met à nu la barbarie de l’Administration pénitentiaire.

Les patients, extraits des cellules, nous percevons comme une sauvage bousculade ; puis, surveillants, correcteurs et prisonniers gagnent le dehors pour se rendre sur le lieu du supplice : le boulevard du Crime.

Malgré que le cœur de ceux qui ont échappé au martinet soit moins oppressé, ils sont assurément aussi pâles que les malheureux qui, pressés par leurs bourreaux, s’avancent vers le banc de torture et que, dans quelques minutes, le fouet à sept lanières déchirera impitoyablement.

Nous écoutons. Un premier cri se fait entendre : c’est la voix de Boyon hurlant sous les coups que le correcteur Mayer, au nom de la sainte discipline et par ordre du directeur de la Transportation, distribue à tour de bras. Et les cris continuent. Puis un silence se fait : c’est le second patient qui prend la place de Boyon, et dont les hurlements, bientôt, nous annoncent les souffrances endurées ; et un nouveau silence se produit, et de nouveaux cris se font entendre.

Cela nous paraît durer un temps infini. Les plaintes déchirantes des fouettés — dont probablement nous serons sous peu de jours, — nous parviennent distinctes, et il nous semble assister à l’exécution.

Enfin, le clairon annonce que la « séance » est terminée, et surveillants, soldats et condamnés spectateurs vont prendre leur repas, mesuré à leur importance sociale, durant que les patients sont traînés à l’infirmerie d’où, après un pansement — admirez cette humanité administrative ! — ils regagnent leurs cellules respectives.

Boyon, qui en est à sa cinquième bastonnade (cent vingt-cinq coups de martinet) a dû être laissé à l’infirmerie : le sang qui s’échappe de ses plaies n’a pu être arrêté. Tout à l’heure, nous entendrons les correcteurs qui le ramènent le plaisanter sur son manque de résistance, et le surveillant qui les accompagne dire que Boyon « gueulait comme un cochon qu’on égorge ».

— Mais, dit Boyon, d’une voix faible, Mayer m’a assommé !…